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fonds de vérité dans une lettre que M. Proudhon a adressée au journal l’Union.

M. Proudhon a avancé cette proposition : « Si le droit était de ce côté-ci des barricades, il était aussi de ce côté-là. » M. Proudhon aurait mieux fait de dire que les socialistes sont parvenus à faire croire aux gens de ce côté-là que le droit était aussi avec eux.


Mais cette doctrine, dit M. Proudhon, quelle est-elle ? où l’ai-je trouvée ? qui l’a le premier proclamée ? quel en est l’auteur ? qui s’en est fait l’éditeur responsable ?

N’est-il pas vrai que, depuis le 24 février, le droit au travail est devenu un droit constitutionnel, au même titre que la liberté de la presse, le vote de l’impôt, le droit de se réunir sans armes, le suffrage universel ; au même titre que la liberté et la propriété ?

Le gouvernement provisoire l’a formellement reconnu ; il n’a cru pouvoir se consumer, se soutenir, faire un peu d’ordre, préparer les élections, protéger l’Assemblée nationale, demeurer conservateur, en dépit de son origine révolutionnaire, qu’à ce prix.

Ce qu’a fait le gouvernement provisoire, le pays l’a ratifié ; l’Assemblée nationale le proclame. (On lui demande de le proclamer.)

L’article 2 du projet de Constitution, soumis en ce moment aux délibérations de l’Assemblée, porte expressément : « La Constitution garantit à tous les citoyens la liberté, l’égalité, la sûreté, l’instruction, le travail, la propriété, l’assistance. » Remarquez l’ordre dans lequel sont énumérées ces garanties : la propriété arrive après le travail, où elle a sa source et sa légitimité.

L’article 7 continue l’article 2 : « Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. — La société doit, par les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne pourront s’en procurer autrement. »

Quels sont, après le gouvernement provisoire, après le pays, après la révolution de Février, les auteurs de ces deux articles ? Sont-ce des socialistes ? Sont-ce les citoyens Pierre Leroux, Louis Blanc, Proudhon ou Caussidière ?

En aucune façon : les auteurs de ces articles sont MM. Cormenin, A. Marrast, Lamennais, Vivien, de Tocqueville, Dufaure, Martin (de Strasbourg), Coquerel, Corbon, Tourret, Voirhaye, Dupin aine, Guslave de Beaumont, Vaulabelle, O. Barrot, Pages (de l’Ariège), Domes, Considérant.

Et pourtant c’est cette Commission, organe de l’Assemblée nationale, organe de la pensée de février, qui a fait passer, dans la nouvelle déclaration des droits et des devoirs, le droit au travail ; c’est même uniquement en vue de ce droit qu’a été faite la déclaration ; et je défie l’Assemblée nationale, avec ses 400,000 baïonnettes, de la supprimer.

Il ne s’agit plus aujourd’hui, comme paraît le croire l’Union, de savoir si le pauvre qui demande l’aumône a le droit de tuer le riche qui la refuse ; une pareille proposition est si monstrueuse que toute protestation à cet égard est superflue. Il s’agit de savoir si cent mille citoyens, dont vous avez reconnu constitutionnellement le droit au travail, sont excusables d’avoir pris les armes pour le maintien de ce droit, violé ou travesti. À cet égard, je n’ai que l’embarras des exemples.

Lorsque, sous le dernier gouvernement, M. de Genoude refusait l’impôt, se laissait saisir, excitait les citoyens a faire comme lui, sur le motif que l’impôt n’étant pas voté librement par tous les citoyens, l’impôt était illégal ; M. de Genoude organisait l’insurrection, et cela en toute sécurité de conscience. Il se peut que M. de Genoude fût dans l’erreur ; mais on conviendra que, si ses raisons eussent été vraies, si, comme il le prétendait, la Constitution était violée, on conviendra, dis-je, que le refus de l’impôt eût été de droit, et, si le gouvernement avait envoyé 100,000 hommes pour contraindre les citoyens, que l’insurrection eût été excusable. Pourtant il ne s’agissait là que de l’impôt.

Ici l’auteur cite encore l’insurrection de février au nom du droit de réunion ; l’insurrection de juillet au nom des libertés garanties par la Charte.