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la Révolution française, toutes les nations du continent retombèrent dans leur ancien état de servitude politique ; et si depuis la paix elles ont commencé à s’en affranchir, c’est grâce au progrès des lumières. Ceux qui, mus par un ardent désir de faire avancer la civilisation, veulent que la Grande-Bretagne interpose son autorité dans les querelles des États voisins, feraient sagement d’étudier dans notre histoire comment s’accomplissent les régénérations politiques ; ils apprendraient par l’étude de nos annales, que c’est seulement lorsqu’elle est en paix avec les autres États qu’une nation peut réaliser de grandes améliorations sociales.

« À ces esprits généreux nous dirons encore que le commerce est aujourd’hui la panacée qui, semblable à une bienfaisante découverte médicale, inoculera à toutes les nations de la terre le goût salutaire de la civilisation. Pas une balle de marchandises ne quitte nos rivages sans porter les germes d’une pensée féconde aux membres d’une société moins éclairée ; pas un marchand ne visite les foyers de notre industrie manufacturière sans revenir dans son pays comme un missionnaire de paix, de liberté et de bon gouvernement. »

Telles étaient les doctrines politiques du futur chef de la Ligue. Nous n’avons pas besoin de dire qu’elles étaient diamétralement opposées non-seulement aux doctrines qui prévalaient dans la pratique du gouvernement, mais encore à celles qui prévalaient dans l’opinion. Diminuer l’effectif de l’armée et de la flotte, abandonner le système colonial, renoncer à exercer une influence politique sur les affaires intérieures et extérieures des autres États, et tout cela dans le but d’augmenter la fortune et la puissance de la Grande-Bretagne, n’était-ce pas un conseil d’utopiste, un conseil de fou ? Cependant, quoi qu’en pût penser la foule, l’utopiste, le fou avait raison ; il est vrai que c’était un utopiste, un fou de l’école de Franklin. Deux ans plus tard il s’efforçait d’introduire dans la pratique quelques-unes de ses idées. La Ligue était fondée, et les idées du modeste pamphlétaire dont nous venons de résumer l’œuvre devenaient les idées de la foule sans cesse grossissante des ligueurs. Tout en poursuivant immédiatement, spécialement, l’abolition de la loi céréale, la Ligue ne se fit point faute d’attaquer et le système colonial et le système d’intervention dans les affaires politiques des États étrangers ; les ligueurs poussaient si loin leur dédain des affaires extérieures que, dans la question de l’Oregon, ils prirent parti pour les États-Unis. À leurs yeux tout intérêt devait fléchir devant l’intérêt de la paix.

Sans doute, l’esprit qui animait la Ligue n’a pas encore passé tout entier dans la politique de la Grande-Bretagne ; si la loi céréale est tombée sous l’effort de cette énergique Association, si le système colonial a été profondément atteint par la réforme de la législation des sucres, l’Angleterre n’a pas renoncé à intervenir dans les affaires des autres États, et elle n’a réalisé encore aucune économie sur les armements que ce système d’intervention exige. La première partie du système du pamphlétaire de Manchester, celle qui consiste à augmenter les ressources des contribuables afin de leur rendre plus facile le payement de la dette, cette première partie est en voie d’application ; la seconde, celle qui consisterait à tailler dans le vif des grosses défenses du budget, reste à exécuter. Mais patience ! Ce n’est plus qu’une affaire de temps. L’opinion est déjà à moitié gagnée, et l’opinion est aujourd’hui toute-puissante. L’Angleterre s’est débarrassée la première des entraves du système protecteur ; elle aura probablement l’honneur de se débarrasser aussi la première des charges inutiles et des errements barbares du système militaire. Et remar-