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plus considérables que celles des États-Unis, quoique notre population, notre commerce et notre tonnage équivalent à peine au double de la population, du commerce et du tonnage américains ; quoique les Américains n’aient pas de dette et que nous en ayons une de 800 millions sterl. Diminuons donc de moitié pour le moins notre flotte et notre armée ! Dira-t-on que notre pays se trouverait exposé au danger d’une invasion, si nous réduisions aussi considérablement les budgets de la guerre et de la marine ? Mais évidemment ce danger n’est pas sérieux. N’oublions pas que l’Angleterre renferme une population de 25 millions d’hommes libres, concentrés sur un espace de 300,000 milles carrés ; n’oublions pas que des chemins de fer vont bientôt unir toutes les parties du pays, de telle façon que non-seulement des hommes, mais encore des munitions de guerre de toute nature pourront être transportés en douze heures sur les côtes de Sussex ou de Kent. Quel peuple du continent serait assez puissant pour attaquer une nation que la nature et l’art ont placée dans une situation si formidable ? Le danger d’une invasion, concluait-il, est donc purement chimérique, et nous pouvons sans crainte diminuer le chiffre de nos dépenses pour payer plus aisément nos dettes.

Un autre moyen se présentait encore à l’esprit du Manchester manufacturer, c’était d’augmenter les ressources des contribuables en diminuant le prix des choses nécessaires à la vie, et, en première ligne, le prix du pain. S’il nous était permis, disait-il, d’acheter notre blé librement sur le marché où le blé se vend le moins cher, nous réaliserions sur ce seul objet une économie de plus de la moitié du montant total du budget ; d’où il résulterait naturellement que nous supporterions avec beaucoup plus de facilité le fardeau de notre dette. À ce propos, il s’étonnait qu’il n’y eût point en Angleterre de société destinée à propager les principes de l’économie politique et à démontrer les bienfaits de la liberté du commerce.

« Nous remarquons avec surprise combien on a négligé l’étude de la science dont Adam Smith était le flambeau il y a un demi-siècle. Nous regrettons qu’aucune société ne se soit constituée dans le but de populariser la connaissance des vrais principes du commerce. Tandis que l’agriculture compte à peu près autant d’associations qu’il y a de comtés en Angleterre, tandis que chaque ville du royaume possède son institution botanique, phrénologique ou mécanique, et que chacune de ces associations a son journal périodique (la guerre elle-même a son United service magazine), nous n’avons aucune association de négociants rassemblés dans le but d’éclairer le monde sur une question aussi peu comprise et aussi mal jugée que celle de la liberté du commerce.

« Nous avons notre société Banksienne, notre société Linnéenne et notre société Huntérienne. Pourquoi nos grandes cités industrielles et commerciales n’auraient-elles pas leurs sociétés Smithiennes consacrées à la propagation des bienfaisantes vérités de la « Richesse des nations ? » Des prix seraient proposés pour les meilleurs essais sur la question des céréales, des lecteurs seraient envoyés dans les campagnes pour éclairer les agriculteurs et pour engager la discussion sur un sujet si difficile et d’une importance si grande pour tout le monde. »

Trois ans plus tard, le Manchester manufacturer réalisait lui-même, de concert avec quelques industriels de ses amis, l’idée qu’il avait émise dans son pamphlet : il fondait l’Anti-corn-law-league ; onze ans après la publication du pamphlet, l’Anti-corn-law-league obtenait le rappel de la loi-céréale.