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minées par la peur des destitutions, cherchent à montrer leur zèle auprès des puissants du jour. Sans doute il faut faire quelque chose ; mais avant tout, il ne faut pas faire des sottises, et pour cela il faut réfléchir aujourd’hui, puisqu’on n’a pas réfléchi hier.

Les inventeurs de remèdes à la crise sortent de dessous terre. Il y a avalanche de brochures, de discours dans les clubs, dans les réunions particulières et dans les rassemblements.

Écoutez un peu : l’argent manque ou ne circule pas ; faisons des billets. Si vous faites observer que la raison qui empêche l’argent de circuler empêchera également la circulation des billets, on vous regarde comme un esprit faible et timoré. Si vous demandez sur quoi seront hypothéqués ces billets, les plus malins vous répondront que ce pourrait être sur le sol. Si vous vous préoccupez du remaniement des lois hypothécaires que de pareils plans supposent, on vous répond par le gouvernement provisoire, qui peut tout, même l’impossible !

— En attendant, depuis quelques jours, la confiance semble reprendre à Paris, car il s’est produit dans le cours des valeurs de Bourse une oscillation en hausse. La constitution de la garde nationale, par le choix rassurant des chefs, a donné un peu de ton à la fibre publique. Que Dieu protège la France, qu’il sorte des élections un pouvoir régulier, et le problème de la crise sera résolu. Les capitaux, ranimés par cette rosée de confiance, se remettront en sève et en mouvement ; les écus reparaîtront, et la circulation reprendra son cours. Une crise financière ne se coupe pas comme la fièvre par une quinine économique.

— Nous avons dit que la crise a été aggravée par les appréhensions qu’ont fait naître les fausses mesures émanées du Luxembourg. Le club de la Liberté du travail (qui tient ses réunions les mardis et vendredis au bazard Bonne-Nouvelle), a consacré deux séances à la discussion de cette proposition. Cette assemblée s’est à peu près unanimement ralliée à une résolution ainsi conçue :

« Le club de la liberté du travail, considérant que les décrets du gouvernement provisoire relatifs à la garantie du travail, aux ateliers nationaux, au marchandage et aux heures de travail ont beaucoup augmenté l’intensité de la crise, pense qu’il est indispensable de revenir sur ces mesures inconsidérées. »

Un correspondant du Corsaire a exprimé la même pensée dans les vers suivants :

Le Travail affamé, soir et matin hurlant,

Quand de l’organiser tu viens faire semblant
     Dans le Luxembourg où tu trônes,
Dit : depuis qu’ils nous ont donné ce Louis Blanc,

     On ne voit plus de louis jaunes.

— Jusqu’ici les grands propriétaires ont fait des lois pour prohiber l’entrée des produits du sol ; les industriels ont fait de même pour prohiber l’entrée des produits manufacturés : les ouvriers, en demandant le renvoi des ouvriers étrangers, des ouvriers anglais, comme à Rouen, des Savoyards (et même des Auvergnats !) comme à Paris, ont voulu mettre en pratique la même théorie. Vous criez à la barbarie, et vous avez raison ; mais soyez logiques.

Nous nous souviendrons, pour notre compte, que le Constitutionnel a fait de belles phrases contre la prohibition du travail étranger, quand il voudra en refaire de tout aussi belles, mais de moins bonnes assurément, en faveur de la prohibition des produits étrangers.

Paris, le 16 avril 1848.