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426 JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

Ne connaissant pas la nature et les fonctions du pouvoir, du gouvernement, de l’État que vous mettez à la tête de votre système, vous n’avez pas osé vous arrêter sur une seule explication, vous n’avez pas donné le moindre exemple. Quant à l’expérience de la maison Leclaire, elle peut servir au système de tout le monde, mais à personne exclusivement.

Admettons que les ateliers fonctionnent pour produire ; ce seront des ateliers commerciaux qui feront aussi circuler les produits, qui feront les échanges. Et qui donc réglera le prix ? encore la loi ? En vérité, je vous le dis, il vous faudra une nouvelle apparition sur le mont Sinaï , sans quoi vous ne vous en tirerez pas, quel que soit votre Conseil d’État, ou votre Chambre des représentants, ou votre aréopage de sénateurs. Vous répondez que l’État sera un meilleur régulateur du marché que la concurrence ; mais vous ne prouvez pas, et trouvez bon que nous ne changions pas encore de conviction.

M. Louis Blanc voit (page 90) dans l’exemple de Napoléon faisant marcher à son pas un million de soldats une preuve de la possibilité de réglementer par le pouvoir toutes les branches de travail ; car il n’est pas dans la nature des choses «que produire avec ensemble soit impossible, lorsqu’il est si aisé de détruire avec ensemble. » Ceci est une figure de rhétorique ; mais, encore une fois, la question n’est pas là : il s’agit seulement de savoir si l’ensemble que vous proposez est le bon ensemble, celui que « Dieu a mis dans le destin providentiel des sociétés. »

M. Louis Blanc a ajouté à son livre sur l’organisation du travail un autre écrit sur la propriété littéraire, que nous passons sous silence et qui mériterait un examen détaillé.

Dans la discussion des matières économiques, malgré la clarté de ses expressions, l’élégance et le bonheur de sa forme, la phrase de M. Louis Blanc a quelque chose de vague et comme qui dirait de peu arrêté et d’ombré. Cela ne tiendrait-il pas à ce que l’auteur a plus senti que raisonné, à ce que son système n’a pas été suffisamment mûri, si toutefois M. Louis Blanc n’a pas une trop bonne tête pour concevoir et enfanter des systèmes.

En dernière analyse, le livre de M. Louis Blanc sur l’organisation du travail est plutôt un pamphlet qu’un travail de science : il agite plus qu’il ne convainc, et dès lors il nous semble inutile, sinon dangereux ; et quand nous disons dangereux, nous nous empressons d’ajouter que nous parlons toujours au point de vue de la science économique. En pareille matière, nous croyons d’ailleurs que l’intervention de l’autorité est toujours inintelligente. Nos pères ont d’ailleurs conquis la liberté de penser, et finalement nous croyons avec l’auteur que les notions fausses disparaissent au vent de la discussion. Mais alors pourquoi le livre serait-il dangereux ? C’est parce qu’au lieu de se présenter dans son ensemble comme un recueil de recherches, comme un essai d’organisation, il a l’immodestie de se croire non pas lui mélange de paille et de grain, mais tout grain, de circonvenir la classe ouvrière et de faire naître dans son esprit un espoir qu’il n’est pas au pouvoir de M. Blanc de réaliser. Mais au fait, pourquoi ne pas dire en deux mots que ce petit livre a le tort grave de faire de la stratégie politique avec des questions qui ne sauraient se prêter à cet usage ?

Combien il est à regretter qu’un talent comme celui de M. Louis Blanc n’ait pas voulu se résoudre à commencer par le commencement et à méditer sur les analyses économiques faites avant lui, et qu’il lui était peut-être donné de