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ORGANISATION DU TRAVAIL. 425

social en disposeraient à leur convenance, et « l’incontestable excellence de la vie en commun ne tarderait pas à faire naître de l’association des travaux la volontaire association des plaisirs. »

Moitié faute d’emploi, moitié par attrait, les capitaux s’engageront dans l’atelier social. Ils toucheront un intérêt qui sera décrété par la loi.

L’ensemble des ateliers sociaux formerait l’association universelle. L’État tendrait à fournir en définitive aux propriétaires du travail les deux autres instruments, le capital et la terre : ce serait le banquier commanditaire de la communauté.

Quant à l’excès de population, comme il n’y a que la misère qui soit prolifique, et comme l’atelier social ferait disparaître la misère, il n’y a plus lieu de s’en préoccuper. (Page 100.)

Une révolution sociale doit donc être tentée. (Page 101.)

M. Louis Blanc est un peu sobre d’explications dans l’exposition de son « mécanisme », qui, il ne faut pas s’y tromper, n’est simple que parce qu’il n’est pas exposé en entier. En lisant le supplément dans lequel il a jugé à propos de combattre les objections que quelques journaux lui ont faites, on voit mieux ce qu’il y a d’incomplet dans cette conception , fille au moins de trois pères, le saint-simonisme, le fouriérisme, le communisme, avec le concours de la politique et d’un peu, de très-peu d’économie politique.

D’après les explications de M. Louis Blanc, l’État ne serait que régulateur, législateur, protecteur de l’industrie, et non fabricant et producteur universel. Mais comme il protège exclusivement les ateliers sociaux pour détruire l’industrie privée , il arrive forcément au monopole et retombe dans la théorie saint-simonienne malgré lui, au moins quant à la production. Toutefois la hiérarchie sortirait du principe électif, comme dans le fouriérisme, comme dans la politique constitutionnelle. Mais encore ces ateliers sociaux , réglementés par la loi, seront-ils autre chose que des corporations ? Quel est le lien des corporations ? la loi. Qui fera la loi ? le gouvernement. Vous supposez qu’il sera bon, n’est-ce pas ? Eh bien ! l’expérience a démontré qu’il ne s’était jamais entendu à réglementer les innombrables accidents de l’industrie. Vous nous dites qu’il fixera le taux des profits, le taux des salaires ; vous espérez qu’il le fera de façon que les travailleurs et les capitaux se réfugieront dans 1 atelier social. Mais vous ne nous dites pas comment s’établira l’équilibre entre ces ateliers qui auront tendance à la vie en commun , au phalanstère ; vous ne nous dites pas comment ces ateliers éviteront la concurrence intérieure et extérieure, comment ils pourvoiront à l’excès de population par rapport au capital , comment les ateliers sociaux manufacturiers différeront de ceux des champs, et bien d’autres choses encore. Je sais bien que vous répondrez : «Par la vertu spécifique de la loi. » Mais cette loi, il faut la faire. Et si votre gouvernement, votre Etat ne savent pas la faire ? Ne voyez-vous donc pas que vous glissez sur la pente, et que vous êtes obligé de vous raccrocher à quelque chose d’analogue à la loi vivante ? On le voit bien en vous lisant : vous vous préoccupez surtout d’inventer un pouvoir susceptible d’être appliqué à votre système ; mais je déclare qu’après vous avoir lu attentivement, je ne pense pas que vous ayez encore une notion claire et précise de ce qu’il vous faut. Ce qui vous manque, ainsi qu’à nous tous, c’est la véritable notion de la liberté et de l’égalité, que vous ne voudriez pas méconnaître et que vous êtes obligé de sacrifier, quelques précautions que vous preniez.

T. XI. — Juillet 1845