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CHRONIQUE.




Paris, 14 juin 1844.


Toutes les questions ont fait place à la discussion de la loi sur le chemin de fer d’Orléans à Bordeaux. Grâces en soient rendues à M. Dumon, ministre des travaux publics, et à M. Dufaure, rapporteur de la commission, c’en est fait de ce système bâtard des compagnies fermières, système qui rendrait tracassière, intolérable l’administration, et qui, en définitive, n’aurait aucun des avantages dont se flattent ses inventeurs. Le système des compagnies fermières, bon pour les très-bonnes lignes, est d’ailleurs impraticable pour les lignes médiocres où l’État n’a rien à attendre, où son revenu, s’il veut être juste, se réduit à rien.

Nous avons vu avec plaisir l’administration refuser enfin, d’une manière nette et précise, le funeste cadeau que veut lui faire l’opposition, de l’exploitation des chemins de fer. Il est assez singulier que ce soient les ennemis politiques du ministère qui tentent de l’affubler de l’immense et embarrassante influence de la nomination à cent mille emplois nouveaux ; il faut qu’il y ait chez M. Dumon une grande force de sens pour résister à une offre aussi tentante, et il faut lui savoir gré de sa résistance. Nous ne saurions trop déplorer la manie qui s’est emparée de certains esprits qui voudraient voir l’État chargé de toutes les fonctions de la vie industrielle ; l’État chargé des transports, de la vente et de l’achat des marchandises, etc. On dit souvent, et c’est là un puissant argument, que l’État possédant les grandes routes, doit aussi posséder les lignes de fer ; qu’il doit veillera ce que le monopole n’y dégénère pas en abus, et rester maître des tarifs. Mais il est facile de voir au contraire que, dans l’état actuel des choses, le gouvernement est bien plus le maître des chemins de fer qu’il ne l’est des routes royales. Sur ces routes, en effet, rien n’est régularisé ; l’État est désarmé devant les entrepreneurs de transports ; leurs coalitions, leurs querelles jettent chaque année la perturbation dans les affaires. Ils jouent sur les délais (terme consacré). Ils font payer tantôt un prix, tantôt un autre ; rien n’est fixe, rien n’est assuré. Si l’État est le maître des grandes routes, comment ces choses ont-elles lieu ? N’est-il pas bien plus le maître sur les chemins de fer ? Ne leur a-t-il pas imposé des tarifs ? N’a-t-il pas, s’il le juge convenable, le droit de racheter le chemin tout entier ? Et ce droit, oserait-il le réclamer contre les entreprises de transports sur les grandes routes ?

Dans la discussion, un orateur a fait valoir, en faveur de l’exploitation par l’État, l’avantage de tarifs différentiels qui donneraient le moyen de favoriser les exportations. Cette faculté, nous l’avouons, est l’un des principaux motifs de notre opposition. Nous redoutons infiniment de laisser les tarifs entre les mains de l’État ; nous redoutons l’influence de quelques grands centres de production, les rivalités du Nord et du Midi. Ce seraient autant de causes perturbatrices, et nous serions exposés à voir sans cesse fluctuer les prix de revient selon qu’il serait plus ou moins convenable d’aider telle ou telle localité.

L’opposition, qui veut mettre les chemins de fer entre les mains de l’administration, a signalé les tendances de l’Angleterre, qui, elle aussi, veut rendre à l’État son contrôle sur ces entreprises. Le Journal des Économistes a fait connaître les résolutions de la commission du Parlement, et nos lecteurs ont