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« Le sort des noirs, nous aimons à le constater ici, doit déjà des progrès très-réels à l’adoucissement des mœurs coloniales et à l’humanité des propriétaires. Toutefois, les magistrats sont unanimes à constater que les prescriptions du code noir et des règlements subséquents sont, en partie, tombées en désuétude, et, dans celles qui sont encore en vigueur ou qu’on pourrait faire revivre, ils ne trouvent ni une énumération suffisante des devoirs des maîtres, ni les moyens de répression nécessaires contre ceux qui ne s’y conforment pas.

« Les juridictions existantes ne semblent pas non plus répondre d’une manière satisfaisante à l’action de ce patronage. La composition actuelle des cours d’assises ne paraît pas offrir des garanties complètes dans le cas de poursuites judiciaires, et les cantons de justice de paix ont besoin d’être plus subdivisés, afin de mettre plus à la portée des ateliers ruraux les moyens disciplinaires qui excèdent les pouvoirs domestiques des propriétaires.

« Il est temps, ajoute l’exposé des motifs, de faire aussi quelque chose d’efficace pour encourager les mariages entre esclaves. L’union religieuse des personnes non libres a été soumise, par l’ancienne législation, à des règles qui ne suffisent pas pour atteindre ce but. Constituer la famille au sein de l’esclavage est assurément une œuvre difficile et délicate, et cependant personne ne conteste que ce ne soit une des bases essentielles de la transformation sociale qu’il s’agit de préparer. Nous le comprenons ainsi, et c’est une des améliorations que nous chercherons, avec le plus de sollicitude, à réaliser.

« Il en est deux autres qui se recommandent en première ligne à toute l’attention du gouvernement. Je veux parler du pécule des esclaves et de leur droit de rachat.

« Aujourd’hui, l’esclave n’a légalement rien qui lui appartienne en propre. D’après le texte des règlements, il n’a droit qu’au repos du dimanche. Si son maître lui abandonne un autre jour de la semaine, c’est à la charge de se nourrir ; et c’est même là une transaction que la loi interdirait, si un usage à peu près général ne l’avait fait prévaloir. Cet usage doit être régularisé. Il doit aussi être combiné avec la nourriture due aux enfants, aux vieillards et aux infirmes, et avec la concession des terrains que les noirs peuvent cultiver pour leur compte. Mais il est un complément indispensable à cette mesure, c’est la faculté pour le noir de disposer librement du produit de son travail réservé, et par conséquent le droit de posséder et d’acquérir dans une certaine limite. Ce droit, et celui de rachat qui en est inséparable, sont, aux yeux du gouvernement, pour la population noire, des éléments actifs de civilisation et d’initiation au travail volontaire. Nous savons quelles objections cette double mesure a soulevées : nous croyons qu’elles sont puisées dans un ordre d’idées et de sentiments incompatibles avec l’œuvre que le gouvernement a entreprise.

« Rappelons-nous, d’ailleurs, que des dispositions semblables ont toujours existé dans les colonies espagnoles, et se trouvent en vigueur, depuis 1834, dans les îles danoises.

Un paragraphe de la loi de 1853 donne au pouvoir royal le droit de statuer sur « les peines applicables aux personnes non libres » ; le ministre propose d’y ajouter « et sur les peines applicables aux maîtres en cas d’infraction à leurs obligations envers leurs esclaves. »

Certes, un tel amendement est considérable. Depuis que le gouvernement a suivi les maîtres et les esclaves dans leurs relations, il s’est aperçu que le Code noir et les anciens règlements sont sans portée. Il demande à la Chambre de nouveaux pouvoirs, et nous ne doutons pas qu’il ne les obtienne. — Un esclave qui possède, qui petit traduire son maître devant les tribunaux, nous paraît bien près de la liberté.