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qui a fait tourner au profit de son bien-être tous les éléments du monde matériel, n’arrive cependant pas toujours à la réalisation de ses nombreux désirs sans froisser les lois de la morale. Il procédera avec d’autant plus d’art à ces infractions que son esprit sera plus cultivé, que ses facultés seront plus développées, que ses connaissances seront plus étendues.

Il faut nécessairement établir une distinction dans les besoins de l’homme. Il y en a qui sont rigoureux, nécessaires ; notre existence en dépend, et leur satisfaction est une condition fondamentale de notre passage sur terre. Il y en a d’autres qui sont plutôt de conventions que de nécessité ; ils sont la conséquence d’un état social plus ou moins avancé. Mais ils ne déterminent pas tel ou tel degré de moralité ainsi qu’une certaine école économique se plaît à l’affirmer d’une manière trop absolue. S’il y a dans la richesse quelque chose qui est très-favorable au développement de nos facultés, elle enferme aussi quelque chose qui est funeste aux mœurs, et les efforts que nous faisons sans cesse pour les acquérir nous jettent fort souvent hors des sentiers de la vertu.

Si les richesses étaient assez abondantes, et que leur distribution pût avoir lieu de manière à satisfaire tous les besoins individuels, alors il y aurait moins de danger pour la morale, et l’égalité absolue des droits serait, jusqu’à un certain point une garantie pour l’accomplissement des devoirs. Mais comme l’inégalité des forces et des facultés chez les hommes exclut nécessairement la distribution uniforme des biens, il en résulte pour l’acquisition de ceux-ci un choix de moyens qui ne sont pas invariablement d’accord avec la probité. Nous constatons ici des faits, et nous n’établissons pas de doctrines. La France, l’Angleterre et l’Allemagne sont certainement aujourd’hui à la tête de la civilisation ; mais il serait téméraire d’affirmer que ces pays ont une moralité supérieure à celle de quelques nations qui sont moins avancées. Sous le rapport du bien-être matériel, les habitants des États-Unis l’emportent de beaucoup sur presque tous les peuples de l’ancien continent. Et cependant la véritable civilisation, celle qui développe les sentiments nobles et généreux, n’a pas encore apparu sur cette terre. La richesse semble au contraire avoir produit chez ce peuple né d’hier une profonde démoralisation, et ses annales historiques, qui n’embrassent pas encore deux générations, nous offrent des exemples d’une singulière corruption. Certainement, si l’on voulait résumer la civilisation dans certaines institutions techniques qui favorisent la production, alors l’Amérique du Nord occuperait un rang très-élevé dans l’échelle sociale. Mais la civilisation ne consiste pas uniquement dans le progrès des sciences exactes et des arts, elle consiste surtout dans la pratique de la religion, de la philosophie et de la morale. La vertu est aussi un élément de puissance pour un peuple, et elle compense ce qui peut lui manquer du côté de la ri-