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universel, à cette abondance de biens, à cette absence de maux physique et de souffrances morales ; à cet état parfait, enfin, qui nous est offert par des hommes chez lesquels le cœur l’emporte toujours sur la tête, ou par ces esprits inquiets pour qui la tranquillité publique est un symptôme de malaise social. Il y aura toujours dans ce monde des misères et des douleurs, des inquiétudes et des privations que les combinaisons les plus savantes ne pourront pas atténuer. Il existe de nos jours une école qui a exagéré ces misères, et qui les attribue à l’industrie et même à la civilisation actuelle. Une autre école, en signalant le même mal, entend par ses réformes, non-seulement satisfaire tous les besoins présents, mais elle veut encore multiplier ces besoins et les satisfaire ensuite par une production indéfinie des richesses. Dans les deux écoles l’industrie est en cause. La première estime que cette industrie est funeste ; la seconde pense qu’elle est insuffisante. Examinons un peu la valeur de ces deux opinions.

On a dit que la richesse était une condition absolue de la civilisation et de la moralité des peuples, et les économistes sont partis de là pour grandir l’autorité de la science. Il y a ici quelques distinctions à admettre. Le but final de la civilisation en ce monde est le développement moral et intellectuel de l’homme. Elle doit faire converger toutes nos facultés vers le bien, et de même que le gouvernement, la famille, l’instruction et la religion développent la civilisation, de même la civilisation doit avoir pour objet de développer et de perfectionner à son tour ces éléments divers.

La moralité peut exister chez un peuple indépendamment des richesses, à différents degrés, et avec des nuances variées. Les sociétés qui sont le plus de prétentions à la civilisation sont en même temps celles qui offrent les exemples de la plus haute vertu et de la plus grande corruption. Par l’effet de notre double nature, dans laquelle le bien et le mal se combattent toujours, il y a un développement simultané de nos bonnes et de nos mauvaises qualités, et nos efforts pour arriver à la perfection nous conduisent souvent vers les erreurs les plus funestes. La civilisation affecte, comme nous l’avons fait remarquer, des formes variées ; elle se modifie dans le cours des générations, et, il faut bien le dire, en développant l’esprit et en multipliant ingénieusement les besoins intellectuels des hommes, elle détruit, à certains égards, la pureté et la simplicité des mœurs. La multiplicité des besoins matériels expose l’homme à de plus fréquentes tentations. Son intelligence, pour satisfaire ses besoins, devient plus active, plus pénétrante ; mais elle se trouve aussi plus souvent en conflit avec les lois de la morale. L’ascendant des besoins qu’on satisfait par les procédés les plus ingénieux, par les combinaisons les plus intelligentes, est souvent plus puissant que l’ascendant de la probité prise dans le sens rigoureux du mot. Il se trouve alors que l’homme qui est supérieur dans les sciences et dans les arts,