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NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES ECONOMIQUES

DE M. DE SISMONDI.


Les théories sur la perfectibilité indéfinie de notre esprit et de nos facultés font naître tour à tour l’optimisme et le pessimisme. La perfectibilité, qui est pour les partisans du progrès transcendantal synonyme de perfection, conduirait l’humanité, par une route facile, vers un but qu’il n’est pas dans notre destinée d’atteindre. Cette perfection, terme extrême de la perfectibilité indéfinie, assimilerait notre existence terrestre à la vie future, et nous trouverions la fin de nos efforts et de nos espérances déjà dans ce monde. Il est inutile de discuter les conséquences d’une pareille doctrine, conséquences auxquelles les adeptes de la perfectibilité indéfinie n’ont pas assez réfléchi. Il est clair que dès qu’on rêve un état social parfait, sans infirmité ; dès qu’on ne veut pas admettre une certaine débilité incurable de l’esprit humain ; dès qu’on accorde à nos facultés une élasticité sans bornes, on doit trouver l’existence des sociétés bien misérable et bien éloignée de cet idéal que Pythagore lui-même n’osait rêver. Ces croyances conduisent à un optimisme imaginaire et à une critique amère de toutes les réalités actuelles. De là des projets de réforme auxquels notre nature incomplète en pourra jamais se prêter. Dans toutes ces tentatives, où la philosophie et la matière montrent la même hardiesse, on confond la perfectibilité avec le développement possible de nos forces et de nos facultés ; on oublie que ce développement a ses limites ; on oublie que nous avons des infirmités natives qui sont une condition même de notre existence terrestre, et dont il est impossible de nous affranchir. Il y a plus, l’expérience a prouvé que le développement simultané de toutes nos facultés est un phénomène qui ne se produit jamais d’une manière générale. Dans les premiers âges, les races étaient plus fortes et plus vigoureuses en même temps qu’elles étaient moins intelligentes. La civilisation se fait partout aux dépens des forces musculaires. Cette civilisation elle-même a des nuances variées, des directions différentes et souvent opposées. Tantôt c’est la philosophie qui domine aux dépens des sciences positives ; tantôt c’est l’esthétique qui inspire les nations au détriment