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de résoudre tous les problèmes ; elle prétend améliorer l’état des sociétés, mais elle ne se propose pas de renouveler la face du globe. Pour l’application de ses vues, le monde dans lequel nous vivons est un théâtre suffisant : elle ne croit pas que tout ce qui existe puisse disparaître comme un décor de théâtre pour faire place à un décor nouveau. Science pratique avant tout, elle tient compte des obstacles, se préoccupe des froissements que toute innovation occasionne, fait la part des préjugés et respecte les résistances, même en les combattant. Ce n’est pas rendre service à une science que de la pousser vers des empiétements mal justifiés, et de lui faire embrasser plus de sujets qu’elle n’en peut étreindre. Le rôle de l’économie politique n’a rien de vague : il est au contraire précis et déterminé, il n’admet pas de trop vastes synthèses. Le genre humain ne doit pas attendre d’elle une panacée pour tous les maux. Qu’elle parvienne à établir un peu d’harmonie dans le monde des intérêts, et elle croira avoir rempli sa tâche. La politique, la philosophie, la religion, feront le reste : le monde des passions et des sentiments leur appartient. C’est le caractère d’une science véritable que de savoir limiter son effort et définir ses attributions.

L’économie politique reconnaît si bien cette nécessité d’un classement dans les diverses branches de nos connaissances et de nos institutions, qu’elle fait journellement fléchir ses doctrines devant des besoins et des intérêts d’un autre ordre que les siens. Elle souffre que les faits tempèrent ce que les préceptes peuvent avoir de trop absolu. Aucune science n’est soumise à plus de servitudes et ne les supporte avec plus de résignation. Ainsi, pour les traités de commerce avec les nations étrangères, pour la fabrication des instruments de guerre, elle se subordonne à la politique, c’est-à-dire au plus despotique et au plus capricieux de tous les maîtres ; pour les subsistances, aux mercuriales officielles ; pour la vente de certains articles, aux mesures de police ; pour la liberté des échanges, aux exigences de la fiscalité ; pour le sort des ouvriers, aux lois souveraines de la morale ; pour l’accomplissement de plusieurs services publics, aux garanties du monopole. On ne peut pas s’effacer de meilleure grâce, ni se montrer plus accommodant en matière de concessions. Des réserves sont posées ; le temps les justifiera, voilà l’essentiel. Vis-à-vis des intérêts actuels, l’économie politique veut surtout paraître modérée, patiente,