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sonne, et l’on a vu naître alors cette espèce de scepticisme, à l’ombre duquel vivent et se développent mille abus. Entre deux réformes qui se combattent, il se glisse toujours un intérêt habile pour les annuler l’une par l’autre. C’est ainsi que, pour embrasser de trop vastes innovations, on perd le bénéfice des plus petites. Le combat n’est plus dès lors entre les principes et les routines, mais entre divers principes confus que surveille l’intérêt particulier, toujours clairvoyant. Cette situation est des plus fâcheuses ; elle laisse les esprits sans lien, elle ouvre une brèche aux inspirations de l’égoïsme et de la présomption personnelle. Au milieu de l’anarchie des doctrines, les convenances de zone et de localité, les privilèges d’industrie et de profession, ont le champ libre devant eux et règnent d’une manière souveraine. De là cette impuissance dans la région des affaires, ces incertitudes, ces tâtonnements dont les Chambres actuelles nous ont donné tant de témoignages et tant d’exemples. L’enceinte législative a reçu le contrecoup du désordre extérieur ; elle s’agite dans le même trouble et voit peser sur elle le même nuage. Les questions les plus importantes y demeurent à la merci de scrutins aléatoires, et les destinées économiques du pays dépendent des moindres déviations de la logique individuelle. Les points de repère généraux étant effacés, on se trouve en butte à toutes les variations de calcul, à toutes les erreurs d’optique. Cela devait être.

Le seul remède à cette situation serait dans un retour sincère aux principes que les maîtres de la science ont proclamés, et dans la cessation de cette indiscipline qui risque de faire de nos économistes un corps de partisans et non une armée régulière. Si l’économie politique n’avait pas en face d’elle, comme ennemis directs, les intérêts qu’elle menace et les positions qu’elle discute, il serait sans inconvénient de laisser la carrière ouverte aux subtilités, aux réserves, aux controverses de détail, même aux utopies. Ce sont là des épreuves dans lesquelles toute science s’épure, se retrempe, et, dans une certaine mesure, ces épreuves sont nécessaires. Saint Paul a dit depuis longtemps que les schismes protègent les religions. Oui, mais pour que les schismes soient utiles, il faut d’abord que la religion soit solidement assise, et que les hérétiques ne se multiplient pas au point de l’ébranler. C’est là malheureusement la situation de la grande école que Smith a fondée en