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PERRIN

d’une émulsion. Si donc nous trouvons un moyen de calculer cette énergie granulaire à partir de grandeurs mesurables, nous pourrons juger notre théorie. Deux cas pourront, en effet, se présenter : ou bien les nombres atteints seront grossièrement différents de ceux qu’ont donné les raisonnements que je résumais il y a un instant, et, en ce cas, surtout s’ils changent avec les grains étudiés, le crédit des théories cinétiques sera diminué, et l’origine du mouvement brownien restera à trouver ; ou bien les nombres seront, pour toutes les tailles et tous les genres de grains, de l’ordre de grandeur prévu, et en ce cas nous aurons droit de regarder comme établie la théorie moléculaire de ce mouvement ; de plus nous pourrons alors chercher en ces expériences un moyen, peut-être précis cette fois, de connaître les grandeurs moléculaires. J’espère vous montrer que l’expérience a décidément prononcé dans ce sens.

II

10. Un procédé peut paraître direct : admettons qu’on ait mesuré la masse d’un granule ; ne peut-on avoir au moins idée de sa vitesse moyenne, et par conséquent de son énergie, par des lectures directes, soit en divisant par la durée d’une observation la distance des deux positions qu’il occupe au commencement et à la fin de cette observation (vitesse moyenne apparente), soit en suivant sa trajectoire à la chambre claire pendant un temps donné, puis en divisant par ce temps la longueur totale de cette trajectoire ?

C’est ce qu’on a d’abord essayé, et l’on trouve en divers mémoires des évaluations qui sont toujours de quelques microns par seconde pour des grains de l’ordre du micron, ce qui assignerait à ces grains une énergie moyenne environ cent mille fois plus faible que celle à laquelle la théorie cinétique nous a conduits pour la molécule et ce qui ruinerait complètement la doctrine de l’équipartition de l’énergie.

Mais de telles évaluations sont grossièrement fausses. Les enchevêtrements de la trajectoire sont si nombreux et si rapides qu’il est impossible de les suivre et que la trajectoire notée est infiniment plus simple et plus courte que la trajectoire réelle. De même, la vitesse moyenne apparente d’un grain pendant un temps donné varie follement en grandeur et en direction sans tendre vers une limite quand le temps de l’observation décroît, comme on le voit de façon