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PERRIN

les fluides où l’équilibre thermique n’est pas réalisé, car il ne change pas appréciablement quand on se donne beaucoup de peine pour obtenir cet équilibre. On doit donc écarter toute comparaison entre le mouvement brownien et l’agitation des poussières qu’on voit danser dans un rayon de soleil. Aussi bien, dans ce dernier cas, il est aisé de voir que des poussières voisines se meuvent en général dans le même sens, dessinant grossièrement la forme du courant commun qui les entraîne, au lieu qu’un des caractères les plus frappants du mouvement brownien est l’indépendance absolue des déplacements de deux particules voisines, si près qu’elles passent l’une de l’autre. Enfin, ce n’est pas non plus l’éclairement inévitable de la préparation qu’on peut incriminer, car M. Gouy put le diviser brusquement par mille, sans modifier du tout le phénomène observé. Toutes les autres causes successivement imaginées ont aussi peu d’action ; la nature même des particules ne parait avoir aucune importance, et dès lors il est difficile de ne pas penser que ces particules servent simplement à révéler une agitation interne du fluide, ceci d’autant mieux qu’elles sont plus petites, de même qu’un bouchon suit mieux qu’un grand bateau les mouvements des vagues de la mer.

Ainsi apparaît une propriété profonde, éternelle, de ce qu’on nomme un fluide en équilibre. Cet équilibre n’existe que de façon moyenne et pour de grandes masses : c’est un équilibre statistique. En réalité, tout le fluide s’agite indéfiniment et spontanément en des mouvements d’autant plus violents et rapides qu’ils concernent des portions plus petites ; la notion statique de l’équilibre est complètement illusoire.

3. Voici donc une agitation qui se poursuit indéfiniment sans cause extérieure. Il est clair que cette agitation n’est pas en contradiction avec le principe de la conservation de l’énergie. Il suffit que tout accroissement de vitesse d’un grain s’accompagne d’un refroidissement du fluide en son voisinage immédiat, et de même que toute diminution de vitesse s’accompagne d’un échauffement local, nous apercevons simplement que l’équilibre thermique n’est, lui aussi, qu’un équilibre statistique. Mais on doit observer, et cette idée très importante est encore due à M. Gouy, que le mouvement brownien n’est pas conciliable avec les énoncés tranchants que l’on donne trop souvent au principe de Carnot. Par exemple, il suffit de suivre des yeux, dans de l’eau en équilibre thermique, une particule plus dense que l’eau, pour la voir à certains instants s’élever