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journal de marie lenéru

Jeudi 4 juin.

J’ai eu vingt et un ans avant-hier et, bien que je n’y aie pas beaucoup d’entrain, je tiens à écrire cette date sur mon cahier et à faire un peu le bilan de ma situation présente.

Le comte de Maistre prétend qu’on n’a pas le droit de réclamer quand, en examinant ce qui vous reste, on peut répondre : Moi.

Mon âge m’étonne toujours, et quand je me persuade bien que j’ai vingt et un ans, l’impression est : Dieu merci, je n’en suis que là !

C’est que j’ai passé par de tels tourbillons que je ne sais plus au juste ce qu’il y a derrière. Oui, j ai passé à travers un blanck. Je désespère d’arriver à définir cet éloignement de la vie. Physiquement, j’existe certainement plus pour les autres que pour moi. Ils me voient et m’entendent. C’est le plus horrible et c’est ce qui m’est arrivé à moi la petite fille si intacte, si curieuse et si à l’abri quand on parlait de ces phénomènes, les aveugles, les sourds, les muets. C’est le procédé de la mort : la séparation.

L’isolement m’a conduite à la réflexion, la réflexion au doute, le doute à un besoin de Dieu plus sincère et plus intelligent.