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ANNÉE 1893

Personne n’aura fait de ses ambitions fantastiques une machine d’un fonctionnement aussi régulier, aussi calme, aussi quotidien, aussi entêté.

Le comble de toutes les prospérités me semblait tellement indispensable à l’existence, que je n’en revenais pas de la facilité avec laquelle les hommes s’en passaient.


Brest, 8 décembre 93.

Il me faut réagir, me donner des preuves de mon existence. Je m’endors dans une vie qui n’est pas la mienne.

J’aurai beau faire, je ne pourrai plus être heureuse comme une autre. Les objets matériels me charment toujours, je parle du luxe de ma toilette, mais ils me dégoûtent quand ils m’ont pris une heure de ma vie intellectuelle et morale.

Ce n’est pas assez d’être fatiguée d’une épreuve inutile, d’un travail sans progrès, d’une volonté sans ressort et sans durée : il faut vouloir. Tout ce qu’on a voulu sur la terre, comme tout ce qui le sera jamais, sera accompli. Or, quelle est cette puissance, qui, ne dépendant que d’elle-même, se passe de toutes les autres ?

Il n’y a besoin de vouloir que ce qu’on ne désire