Page:Journal de Marie Lenéru.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
JOURNAL DE MARIE LENÉRU

nation a fait le tour des choses, mais j’ai laissé traîner toutes mes idées au point que je ne sais plus où j’en suis.

J’en souffre parce que je mène une vie qui m’est inférieure. Malgré mon horreur des journaux intimes, il m’arrivera de me permettre ces protestations contre moi-même, parce que c’est un stimulant.

Et puis, ne parlant plus, j’ai besoin d’être maîtresse de mon style, je le sens trop pauvre et il m’est trop insuffisant.


Mardi 5 septembre 93.

Rien de grand n’a été fait en ce monde avec de faibles convictions et Dieu semble avoir condamné toutes nos défaillances avec une parole : Homme de peu de foi !

Il est évident qu’il faut savoir ce que l’on fait avant de jouer sa vie ; j’ai assez de foi pour vivre comme tout le monde, mais pour faire ce que je veux faire, non.

J’ai dix-huit ans, j’ai tout souhaité, tout prévu, tout imaginé, tout attendu, le divin comme l’humain, le suprême beau moral dans l’ensemble de toutes les vanités. Mon programme d’enfant était la grande sainteté cloîtrée, mais après l’abandon d’un luxe royal.