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XLIV
PRÉFACE

guérir, parce qu’après lui avoir ouvert toutes grandes les portes d’un monde supérieur, il l’obligerait à rétrograder vers la sortie. Pour la raison que si la souffrance ne rend pas meilleur, elle rend plus profond. Marie déclare qu’elle est attachée à son épreuve, ne regrette rien, qu’elle aime le moule où elle a été coulée. Toutefois elle se défend d’obéir à une vanité vulgaire, elle souhaite la gloire plutôt pour d’illustres sympathies que pour la renommée.

« Je veux, dit-elle, un talent qui soit moi, me distingue, me révèle à quelques uns, aux seuls qui comptent pour moi, un talent qui me complète, reçoive ma vie intime et l’amplifie, par lequel je puisse dépenser tout ce que j’ai d’ardeur de contemplation, de volonté au travail intense, un talent qui s’empare de mon temps et de mon spleen. »

Elle condense admirablement cet état d’esprit en une courte phrase :

« À la fin cela rend terriblement orgueilleux de se passer toujours de ses semblables !… »

Le talent, le génie sont des dons merveilleux, on en peut tirer de sublimes jouissances, par malheur la pensée se grave sur les traits en rides ineffaçables, la taille, trop longtemps penchée sur le papier, ne se redresse plus et voilà que la beauté proteste.