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ANNÉES 1914-1915

À Puech. — Mais non, nous ne sommes pas seuls. Que ferions-nous des êtres d’une autre race ? Nous sommes là, cela suffit et nos champs de bataille sont peuplés invisiblement de tout ce que nous avons d’âmes. Vous êtes plus gâtés que les héros d’Homère et les pieux chevaliers du moyen-âge. Au lieu des Minerve et des St-Michel, vous avez nos âmes d’aujourd’hui, travaillées, achevées par les siècles, plus intelligentes, plus vibrantes, plus émues. C’est à elles de donner, à tous ceux qui tombent, par la fidélité et la transmission du souvenir, la seule immortalité qui ne trompe pas, celle de la douleur et de l’amour humains.

Que je comprends vos regards vers l’avenir ! Il n’est pas vrai que la guerre soit une école d’ascétisme. Je crois que plus près de la mort, nous apprenons à ne rien mépriser de la vie. Je ne suis pas, hélas ! un soldat, mais je sais bien que la guerre m’a guérie de beaucoup de dédains.


28 décembre.

À Henry Marx. — Ils sont tellement ignorants de ces questions de guerre et paix — parce qu’au fond si peu passionnés par elles ! — qu’ils s’imaginent vraiment qu’être pacifiste c’est, ipso facto, être désarmiste, sentimental et nigaud.