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ANNÉES 1914-1915

et à se répandre en discours pour se faire mieux voir et entendre. L’œuvre doit être au point de son auteur. Si l’on faisait le point de chaque spectateur, ses voisins ne seraient jamais contents, et la pièce deviendrait amorphe et caméléonesque, en même temps qu’interminable. Un auteur qui a entendu juger sa pièce en sait quelque chose. Il n’y a pas de « consentement universel ». Il faut avoir le courage de se livrer, de donner prise, on ne peut faire face à tout que dans de très étroites limites. Je sais parfaitement que les phrases qui méconnaissent mes héros, par lesquelles je les fais juger d’un niveau inférieur, seront prises au pied de la lettre. Et parce que Denise a dit : « Ma mère est trop personnelle » ma pauvre triomphatrice est jugée par mes plus bienveillants amis : « une hypertrophie du moi ». Alors que le reproche qu’on devrait m’adresser est de l’avoir faite trop grande et trop magnanime, cette femme qui méprise si passionnément sa gloire et qui, dans toutes les répliques de toute la pièce, ne voit que sa fille et son amant. Si j’avais fait faire à Denise une scène ridicule et mesquine contre sa mère, ils auraient compris, mais jamais je ne donnerai cette facilité de diminuer l’adversaire et de fausser la vraisemblance des rapports, qui consiste précisément en une certaine plausibilité, en une certaine nécessité du mal entendu. Mais qu’ils prennent d’emblée le point de vue