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ANNÉE 1907

Il y a dans la littérature : la littérature écrite, sentie, et la littérature parlée, sans aucune décharge nerveuse. Les trois premières lignes d’un livre le classent immédiatement dans l’une ou dans l’autre, elles édifient sur la paresse ou l’attention du procédé.

Un homme qui écrit une phrase-rengaine comme celle-ci : « le violon qui chante et pleure comme une voix humaine » — je viens de la lire dans Rod — est un homme qui ne se distingue pas lui-même, qui ne distingue pas le style des notions de sa propre originalité. Maupassant n’était ni un cerveau, ni même une extraordinaire sensibilité, mais on lui avait enfoncé la méthode dans le crâne, et son travail sort vécu, non pas seulement des milieux qu’il étudie, mais de son être en fonction d’écrivain.

La littérature parlée s’écrit vite, mais elle ne donne pas à la pensée le bon entraînement du style, l’heureuse dilatation de l’effort. Elle ne mène pas très loin son homme. Elle lui donne peut-être le pouvoir sur son œuvre, mais non ce travail de soi par soi qui fait de quelques individus qui ont écrit, les meilleures statues de l’humanité, les êtres les plus travaillés, les plus complets avec les moines et les saints.

Écrire, non pour parler, ni même pour écrire : pour être, pour devenir de plus en plus dans sa pensée et dans son cœur.