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ANNÉE 1907

28 février.

Nous quittons cet appartement commode et joli avec ses fenêtres sur le parc de l’hôtel St-Senoch, qui prend tout un côté de la rue, et que j’avais découvert avec émerveillement un jour de neige. Nous allons vivre à l’hôtel, dans une pension de famille. Maman donne des raisons d’ordre matériel et j’y insiste aussi. Tous disent : « On n’est jamais mieux que chez soi, la liberté… » Vraiment ? Votre liberté ? C’est précisément ce chez moi que je veux fuir. Avec quel découragement j’y suis rentrée chaque jour pendant des années, avec quel dégoût de la maison où jeune fille je vis en vieille femme. La maison n’a de raison d’être que par la famille, autrement elle n’est qu’un bien-être mesquin de vieille rentière, propriétaire de ses meubles : « Le mobilier, voilà ce que l’homme a de plus cher au monde ! » Il n’y a pas de solitude que le mobilier ne console.

Certes, je les aime toutes ces vieilles choses, mais parce qu’elles me rappellent Brest. Je me sens l’âme d’une seule maison. La maison pour moi, c’est Brest. Ailleurs je suis une passante, une voyageuse. J’ai besoin de simuler au moins le provisoire, de ne pas accepter.