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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

très chic, je conseillais « les planches » à mes amies.

Il disait : « elle est charmante, charmante, charmante. Elle est absolument dans le faux, mais elle dit des choses très justes ». Et plus tard à ma tante G… « Pourquoi ne se marie-t-elle pas cette fille-là ? Moi je ne peux pas, je suis pris ». Je me promettais qu’il me retrouverait un jour sur les planches, et sur les siennes « en esprit et en vérité ». Il devait venir me voir. Avec illogisme je disais : « Je veux bien parce qu’il est le fils d’un membre de l’Institut et le neveu de l’amiral Arago ».

Laugier faisait partie de ma galerie, j’éprouve un sentiment de dommage à la voir se dépeupler, et je sens que si trois ou quatre hommes, dont je n’ai vu qu’un seul, plus une femme, disparaissaient, je me découragerais d’être, je ne me soucierais pas d’exister pour les autres, et je me considère comme l’une de leurs raisons de vivre, car ce n’était pas la peine d’écrire, s’il n’y avait pas des lecteurs comme moi.

Nous n’existons que les uns pour les autres, nous sommes tout ce qui nous reste, voilà ma philosophie.


16 février.

Je disais à maman : « notre théâtre est « immoral ». Moi je vais faire une pièce morale et l’on ne sait pas du tout ce que cela prouvera. »