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ANNÉE 1906

ne trouvais pas vraiment, qu’en soixante ans on eût le temps de vieillir et que le démolissement physique me semblait un inexpliquable gaspillage.

C’est peut-être pour n’avoir pas servi, mais je suis sans pardon pour ceux qui s’abîment vite. C’est une espèce de lâcheté.

Et tout cela me donne quelque chose de haletant, de talonné par l’heure, — même les trajets, la voiture, le tramway lui-même, ne me détendent pas, ne m’abattent pas. Seule, maintenant, je parle, un mot qui ne veut rien dire, mais comme s’il fallait protester et je rougis comme à une terrible maladresse. Pourtant on n’est pas hystérique quand on dort dix heures d’un trait.

Ce qui m’affole n’est pas l’avenir, au contraire, là je suis à peu près sûre de moi, mais quand je me retourne !

Il existe à présent un portrait de moi et il me fait peur.

Je ne me « révolte » pas, ce mot est aussi absurde qu’inutile envers les choses nécessaires, mais je vis dans la plus parfaite et la plus quotidienne non-acceptation.


Marly-Fribourg, 11 août.

Ce qu’on aime dans les montagnes ce n’est pas elles, mais les manières différentes dont elles nous ouvrent