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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Comment ne tremblent-ils pas, ne s’écrient-ils pas de bonheur d’un sommeil à l’autre ? Ils se croiraient obligés d’être poètes ou bien peut-être ivrognes pour tirer à ce point parti d’eux-mêmes.

Je ne demande moi que les choses que les yeux me rendent chaque jour, j’abandonne les êtres qu’il faut entendre, et rien que ce lendemain attendu me donne la fièvre et me vengerait de la mort.


6 août.

J’y ai mis le temps, mais je prends l’amour de la normalité, de la vie de tout le monde, selon les plus vulgaires lois naturelles et sociales… Tout ce qui aurait pu être celle qui serait moi, si une petite fille de treize ans n’avait pas dîné un jour, en voyage, dans une maison où une autre petite fille allait avoir la rougeole.

Je ferme les yeux le matin quand je me réveille dans le soleil et le balancement des arbres du parc répété dans toutes les glaces, je ferme les yeux et je vois ce qui serait. Je me réveillerais à Tamaris, Alger ou Pera, comme dans mon enfance, au sifflet des canonnières, à l’ébranlement des salves.

Je serais seule parce qu’il serait de garde ou en campagne. Les enfants, de huit à dix ans, chanteraient ;