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ANNÉE 1901

poussée d’espace vierge, d’isolement, pour garder sa ligne de flottaison.

Et pas seulement nos âmes, nos corps aussi. Comment peut-on résister à la suppression du système cellulaire ? Sans aller aussi loin, quel supplice de marcher à un pas qui n’est pas le vôtre, comme tous les rythmes s’insurgent ! Les muettes contradictions physiologiques, quelle épuisante réfutation pour nos nerfs ! Je me représente l’amour comme une concordance exceptionnelle du mouvement, le miracle de l’étoile double.


Samedi 16.

J’ai fait un progrès. Je commence à soupçonner l’art des suppressions. Cela ne veut pas dire écarter le médiocre, mais aussi l’excellent. Il faut apprendre à s’exprimer avec ce qu’on ne dit pas. Il faut des silences en prose, comme en musique. Il est facile, avec notre expérience des mots, d’accueillir toute pensée, d’en faire œuvre d’art.

Mais on n’isole, donc on ne donne la forme, qu’avec le vide. Prenez garde de tout dire, de faire la vie trop éloquente. « Je meurs ! » ne vaudra jamais, en émotion, le dernier soupir.

Délivrer la littérature de sa loquacité. Et, chose paradoxale, ne serait-ce pas la forme dramatique qui