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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

je me persuade que les ascétiques ne se développent que par l’intelligence qu’ils tiennent pourtant à mépriser. Là où il y a de fortes vies intérieures, vous trouverez toujours des mots, qui sentent non seulement l’intellectualité, mais le choix, le sens littéraire.


Dimanche 6.

Si je possédais un orgueil imperturbable, ce serait la santé parfaite. Mais j’ai la manie de la relativité, je suis très capable de me mesurer et de me situer comme un numéro sur une planche de musée et n’être pas la première m’ôte le moindre désir d’être la seconde. Mauvaise habitude de la perfection ascétique, besoin de créer son immortalité aussi élevée que possible.

J’ai beau penser comme Rabelais, « autant vaut l’homme comme il s’estime », la nette brutalité de Baudelaire m’a plu : « Un homme est l’égal d’un autre qui le prouve. » Et j’ai médité Amiel : « On croit se connaître, mais tant qu’on ne sait pas sa valeur comparative et son taux social, on ne se connaît pas assez : tant qu’on méprise l’opinion, on manque d’une mesure pour soi-même, on ne sait pas sa puissance relative. »