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ANNÉE 1900

Mme B… dans la rue : Vous qui aimez tant Mlle Lenéru, vous devez être contente… une amie nous tombe, je n’ai pu résister au plaisir de venir vous le dire. Ils sont tous arrivés comme des fous : Oh ! Marie, Marie…

La vérité est que j’aime assez ces points de repère, ces occasions de me mesurer. Je ne m’abîme donc pas trop ?


27 avril.

Et pourtant — j’ai peur que Dieu ne m’entende — j’ose presque dire que je ne regrette rien. Sans cataclysme, ou je serais carmélite ou, amusée de succès provinciaux, avec mon accommodante gaieté, je n’en aurais pas demandé plus, j’aurais « oublié que le Gange existe », je n’aurais pas cette fièvre en relisant les Deracinés de Barrès, cette émotion en reprenant pour la vingtième fois Marc Aurèle, cet apaisement quotidien en faisant mon bréviaire de Leconte de Lisle, je n’aurais pas ma préservative horreur de la femme. Cet être dont la mentalité et le reste n’excédent pas le journal de mode, avec, je le veux bien, ses dépendances, sa causerie du Docteur, ses travaux d’aiguille et son carnet mondain, ses « cœurs brisés » ou sa « mer bleue », car voilà toute la femme, et pas même comme elle est, mais comme elle se rêve ! !