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année 1899

leurs changements de physionomie. Ce sont des relations dont on a suivi les bons et les mauvais jours.

Maintenant que j’en sais le prix, je regarde, je regarde comme si c’était toujours pour la dernière fois de ma vie. Cela me paraît grossier de lire en plein air, comme de lire à l’Église pour des contemplatifs.

Lire par-dessus le marché dans un monde où il faut dormir ! Cette nécessité du sommeil fait que tant d’heures de la vie des choses nous sont inconnues ! Quand je n’ai pas assez regardé une journée, je sais que j’ai perdu une chose irréparable qui ne reviendra jamais.


Brest, dimanche 30 juillet.

Donc je suis rentrée. Je n’aime pas me retrouver chez moi. Les souvenirs de prison ne deviennent chers que le jour où on en sort, et il y a tant de mauvais jours dans ces murs-ci… Le long de cette délicieuse route de Lorient à Brest, je me disais qu’un retour at home a besoin d’une mise en scène de famille, ou tout au moins de familiers, et je sentais mon cœur me tomber dans les talons. Ils sont naïfs avec leur solitude, ceux qui ne la connaissent pas ! Je commence à aimer Mme  du Deffand d’avoir avoué qu’elle ne la supporterait pas cinq minutes. Amiel, qui en avait le goût, déclare que c’est un pis aller.