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Mon arbre préféré, sans esthétique aussi, attraction d’instinct : le sapin, le mélèze. Il y en a de plus beaux, mais celui-là je ne le rencontre pas sans une jouissance morale. Je le trouve intéressant sous tous les ciels. J’aime presque de la même façon les cèdres et les cyprès. En somme, pas les arbres domestiques, les arbres sauvages, les arbres de la solitude.

Je préfère les montagnes à la mer, sans hésiter. L’absence de végétaux et le trop grand jour de la mer donnent de la sécheresse intérieure. C’est une erreur de contemplation de croire que la mer donne le sentiment de l’infini. Elle est une plaine ; c’est mathématiquement le minimum d’horizon et sa courbure rappelle que la planète ne s’étend qu’en tombant et se pelotonnant en boule. La montagne est bien plus religieuse, plus sacrée, car plus inutile. Les eaux sont voie commerciale et les bords de la mer pullulent de civilisation. Avec ses forêts, ses bêtes, ses glaciers, ses lacs, ses eaux courantes, ses orages et toutes ses raretés atmosphériques, la montagne l’emporte décidément.

C’est une constante présence des montagnes tout le long du livre qui m’a tant fait aimer Wanda, de Ouïda, le seul livre mal fait auquel je me sois attachée. Les livres des montagnes sont plus profonds que les livres de la mer. Nietzsche est un poète de montagne.

Les livres, les livres, la seule chose au monde