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année 1899

Nominor quia leo ! et la terreur d’une œuvre insuffisante.

Du reste, ce n’est pas « la gloire » comme Marie Bashkirtseff, qui perturbe de loin. « La gloire » n’embellit pas la femme, et je ne veux pas la sacrifier.

Je veux un talent qui soit moi, me distingue, me révèle à quelques-uns, aux seuls qui comptent pour moi. Un talent qui me complète, reçoive ma vie intime et l’amplifie, par lequel je puisse dépenser tout ce que j’ai d’ardeur de contemplation, de volonté au travail intense, un talent qui s’empare de mon temps et de mon effort, de mon courage et de mon spleen.

Mais j’aimerai toujours mieux être inimitable par la manière de porter une robe de Chevert, que par tout le talent et toute la laideur des Elliot et des Staël.

Je veux me mettre des blancheurs d’écume dans l’âme ; j’en ai tant regardé aujourd’hui ! Au cimetière de Plougonvelin[1] j’ai senti qu’on pouvait mourir ici, mourir vengé et rassasié du spectacle emporté.

Ailleurs, les hommes sont enfouis ; il n’y a que près de la mer qu’on remonte à la surface.

Aujourd’hui, il vente furieusement. En dépit du froid et de la pluie de sable, je suis allée trois fois, et

  1. Près de Brest