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de tant d’études ! » Que veut-on que je fasse de ma santé ? Cela n’est utile qu’aux gens heureux ; je me la garde certainement pour l’avenir, mais je ne vais pas lui sacrifier celui-ci.

Pour être heureux, il faut l’avoir toujours été ; je ne me résigne pas au passé, je n’y veux rien regretter. Je veux entraîner toutes mes années dans ma gravitation et qu’aucune ne rompe l’harmonie. La vie est trop courte pour qu’on la morcelle. Nous n’avons pas le temps de changer, encore moins de nous repentir. Je n’aime pas ce qui s’acquiert et qu’il faut attendre ; nous n’avons pas le temps d’espérer.


Dimanche.

D’après mon journal, j’ai l’air d’une personne très difficile à vivre. C’est qu’ici, c’est la « Kritik der reinen Vernunft ». Ma raison pratique est si bonne fille, si ployante et si prompte à prendre son parti des choses ! j’en ai des étonnements. Une cheminée me tombe sur la tête, c’est à peine si je pense ouf !

J’éprouve une bizarre excitation intérieure comme si je répondais à une provocation. Sans phrases, bien entendu, et mécaniquement. Montaigne a raison, nos plus belles ressources sont dans l’instinct. Ah ! l’animal humain est une belle adaptation ; il a le bonheur tenace !