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JOURNAL D’UN BOURGEOIS DE PARIS.

destruire le signeur de Gaucourt qui avoit bien en sa compaignie mil hommes d’armes, mais par la grâce de Dieu ledit Gaucourt et ses gens furent desconffys honteusement ; et en furent tuez bien vic, et bien cent noyez, et bien cinquante des plus gros prins, mais Gaucourt eschappa par bon cheval[1]. En icellui temps se firent plusieurs escarmouches, dont on ne fait nulle mencion, car on ne faisoit rien à droit, pour les traistres dont le roy estoit tout advironné[2].

28. En l’an iiiic et xii, vie jour de may, ce mist le roy sur les champs, avecques lui son aisné filx le duc de Guienne, le duc de Bourgongne et plusieurs autres, et allèrent droit en Ausserre, là furent aucuns jours. De là se départirent et allèrent assegier la cité de Bourges en Berry, où estoit le duc de Berry, anxien de bien près de iiiixx ans, oncle dudit roy de France, maistre et

  1. L’événement militaire auquel le chroniqueur fait allusion dans ce paragraphe est la bataille de Saint-Remy-du-Plain, gagnée le 10 mai 1412 par le connétable de Saint-Pol sur les Orléanais commandés par le sire de Gaucourt (Cf. Monstrelet, t. II, p. 249).
  2. Rien ne saurait mieux refléter l’état des esprits à cette époque profondément troublée que le curieux langage tenu contre le roi par un certain Jacques Mestreau, roi d’armes de Champagne, langage qui fut considéré comme séditieux et qui valut à son auteur un emprisonnement au Châtelet de Paris. Mestreau « estant surprins de vin ou autrement mal conseillié, » s’écriait : « Où sont les proudommes chevaliers de ce royaume ? Ne pevent ilz trouver bon accord entre nosseigneurs ? » Et, ajoutent les lettres royaux auxquelles nous empruntons ces détails, « aussi a peu dire que les seigneurs de nostre sang estoient mal conseilliez de ce qu’ilz mettoient les Angloiz en ce royaume, pour ce qu’ilz pourroient destruire le pays, et que s’eust esté prouffitable chose que Jehan nostre oncle de Berry, feust venu à Paris pour trouver et mettre aucun bon remède en ce royaume et mettre bon accord entre les seigneurs dessusdiz. Et avec ce semblablement a peu dire que nous estions en adventure de faire ainsi en France comme on avoit fait en Angleterre, se Dieu n’y pourveoit et que on y mist remède, laquelle chose il entendoit estre que les seigneurs de ce royaume se rebelleroient à l’encontre de nous et nostre couronne ; et que on avoit osté de nostre Conseil les bons proudommes qui desja s’en estoient alez, comme le sire de Blarru, le sire de Torcy et autres, et que nous estions mal conseilliez, et qu’il n’avoit nulz proudommes entour nous, et que ceulx qui se sont armez à l’encontre de nous feroient de nous ainsi que l’en avoit fait en Angleterre. » (Rémission de février 1412 ; Arch. nat., JJ 166, fol. ii vo.) Vers le même temps, un habitant de Senlis fît entendre ces « maugracieuses parolles » : « On savoit bien que ce s’estoit du roy, et qu’il ne faisoit raison ne justice et qu’il se gouvernoit par ce faulx traiste. » (Arch. nat., Zia 5, fol. 336 ro)