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INTRODUCTION

les régimes qui se sont succédé à Paris de 1409 à 1449. Durant la domination anglaise, bien qu’il se montre l’ennemi acharné des Armagnacs, il ne cesse d’attaquer les personnages du parti anglo-bourguignon chargés de la direction des affaires, notamment l’évêque de Thérouanne, chancelier de France pour les Anglais, qu’il qualifie « d’homme très cruel, moult hay du peuple ». Après la réduction de Paris sous l’autorité de Charles VII, il s’en prend aux « faulx gouverneurs » et surtout au connétable de Richemont qu’il ne craint pas d’accuser de trahison. Quelle est la cause de cette hostilité systématique ? D’où vient que notre chroniqueur parle toujours avec une certaine aigreur de ceux qui sont au pouvoir, tout en respectant la personne du souverain ? À nos yeux, le chroniqueur resta toute sa vie homme d’opposition, parce que dévoré d’une ambition démesurée qu’il ne put jamais satisfaire, il brigua constamment les charges officielles sans arriver au but de ses désirs ; son rêve, on le voit bien, était d’entrer dans le conseil du roi, et son langage trahit plus d’une fois cette secrète envie. Ouvrez notamment le journal à l’année 1439, vous y verrez notre anonyme se plaindre de l’absence prolongée du roi de France « qui se tenoit tousjours en Berry par les mauvais conseils qu’il avoit » ; en 1441, déplorant les excès commis par les gens de guerre, excès encouragés par leurs chefs, il s’écrie : « Ainsi estoit ce roy Charles le VIIe gouverné, voire py que je ne le dy, car ilz le tenoient comme on fait ung enfent en tutelle. »

Le chancelier Jean Chuffart nous paraît, mieux que tout autre, répondre à ces données du Journal ; la haute situation qu’il occupait dans le monde ecclésiastique et universitaire lui permettait de prétendre aux faveurs du souverain dont il avait embrassé la cause après l’expulsion des Anglais. Avec une habileté remarquable, Jean Chuffart avait longtemps d’avance préparé les voies ; dans un mémoire politique adressé à la reine Isabeau de Bavière, mémoire qui semble devoir lui être attribué, nous le voyons tracer tout un programme de gouvernement à l’adresse du roi de France[1]. Ce fut peine perdue, jamais Charles VII ne daigna jeter les yeux sur lui et ne songea à l’appeler dans ses conseils ; ce prince avait trop conscience du rôle

  1. L’auteur de ce factum dévoile ses visées secrètes dans deux paragraphes consacrés à l’éloge des clercs que le souverain devrait appeler dans ses conseils : « Un roy, dit-il, doit savoir qui sont les meilleurs clercs de son royaume et universités et autrement, et les promouvoir… et doit le roy souverainement amer un clerc preudomme et est très grant trésor d’un tel homme. » Il ajoute plus loin « que le roy devroit avoir avec luy des meilleurs aagés clers, preudommes, saiges et expers et bien renommés qu’il pourroit finer » (Advis à Isabelle de Bavière, Bibliothèque de l’École des chartes, 6e série, t. II, p. 145, 150).