Page:Journal d’un bourgeois de Paris 1405-1449.djvu/274

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son, puis se départirent. Et furent avant cinq ans par le monde qu’ilz venissent à Paris, et vindrent le XVIIe jour d’aoust l’an mil IIIIc XXVII, les doze devant diz, et le jour Sainct Jehan Decolace vint le commun, lequel on ne laissa point entrer dedens Paris ; mais par justice furent logez à la Chappelle-Sainct-Denis, et n^estoient point plus en tout, de hommes, de femmes et d’enfens de cent ou six vingt ou environ. Et quant ilz se partirent de leur païs, estoient mil ou XIIc, mais le remenant estoit [mort] en la voye, et leur roy et leur royne, et ceulx qui estoient en vie avoient espérance d’avoir encore des biens mondains, car le Sainct-Pere leur avoit promis qu’il leur donroit pais pour habiter bon et fertille, mais qu’ilz de bon cuer achevacent leur penance.

467. Item_, quant ilz furent à la Chappelle, on ne vit oncques plus grant allée de gens à la beneïsson du Landit que là alloit de Paris, de Sainct-Denis et d’entour Paris pour les veoir. Et vray est que les enffans d’icelx estoient tant habilles filx et filles que nulz plus, et le plus et presque tous avoient les deux oreilles percées, et en chascune oreille ung anel d’argent ou deux en chascune, et disoient que ce estoit gentillesse en leur païs.

468. Item, les hommes estoient très noirs, les cheveulx crespez, les plus laides femmes que on peust veoiret les plus noires ; toutes avoient le visage deplaié, chevelx noirs comme la queue d’un cheval, pour toutes robbes une vieille flaussoie très grosse d^un lien de drap ou de corde liée sur l’espaulle, et dessoubz ung povre roquet ou chemise pour tous paremens. Brief, ce estoient les plus povres créatures que on vit oncques venir en France de aage de homme. Et neantmoins leur povreté, en la compaignie avoit sorcières qui regardoient es mains des gens et disoient ce que advenu leur estoit ou à advenir, et mirent contans en plusieurs mariaiges, car elles disoient (au mari) : « Ta femme [ta femme t’a fait] coux », ou à la femme : « Ton mary fa fait coulpe. » Et qui pis estoit, en parlant aux créatures, par art magicque, ou autrement, ou par Pennemy d’enfer, ou par entregent d’abilité, faisoient vuyder[1] les bources aux gens et le mettoient en leur bource, comme on disoit. Et vrayement, je y fu III ou IIII foys pour parler à eulx, mais oncques ne m’aperceu d’un denier de perte, ne ne les vy regarder en main, mais ainsi le disoit le peuple partout, tant que la nouvelle en vint à l’evesque de Paris, lequel y alla et mena

  1. Ms. de Rome : faisoient vuides les bources.