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JOURNAL D’UNE FEMME DE CINQUANTE ANS

dont j’ai peine maintenant à me rendre compte, je ne voulais pas lire de mauvais livres ; je savais qu’il y en avait qu’une demoiselle ne devait pas avoir lus et que, si on en parlait devant moi et que je les connusse, je ne pourrais pas m’empêcher de rougir. Aussi trouvais je plus facile de m’en abstenir. D’ailleurs les romans de sentiment ne me plaisaient pas. J’ai toujours détesté les sentiments forcés et les exagérations. Je me rappelle néanmoins un roman de l’abbé Prévost, qui me faisait une grande impression : c’était Cleveland. Il y a dans ce livre des actions de dévouement admirables, et cette vertu a toujours été celle qui répondait le plus à mon cœur. J’étais si susceptible de l’éprouver que j’aurais voulu pouvoir en donner tous les jours des preuves à ma mère. Souvent je versais des larmes amères de ce qu’elle ne me permettait pas de la soigner, de la veiller, de lui rendre tous les soins dont le désir était dans mon cœur. Mais elle me repoussait, elle m’éloignait, sans que je pusse deviner le motif d’une aversion aussi étrange pour sa fille unique.

IV

Cependant les eaux de Spa avançaient les jours de me pauvre mère. Elle répugnait néanmoins à revenir à Hautefontaine, dans la certitude où elle était que ma grand’mère la recevrait, comme à l’ordinaire, avec des scènes et des fureurs. Elle ne se trompait pas. Mais son état empirant à tous moments, la pensée, commune à