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CHAPITRE PREMIER

nie, dont la première vue m’est aussi douloureuse que le serait le moment où j’aurais reçu une blessure laissant après elle une profonde cicatrice.

Le temps où j’ai gardé le lit pour ma jambe cassée, est resté dans mon souvenir comme le plus heureux de mon enfance. Les amis de ma mère vinrent en grand nombre à Hautefontaine, où nous restâmes six semaines de plus qu’à l’ordinaire. On me faisait des lectures toute la journée. Le soir on roulait un petit théâtre au pied de mon lit et des marionnettes jouaient tous les jours une tragédie ou une comédie, dont les rôles étaient parlés dans les coulisses par les personnes de la société. On chantait si c’étaient des opéras comiques. Les dames s’amusaient à faire les habits des marionnettes. Je vois encore le manteau et la tiare d’Assuérus et l’habit de lin de Joas. Ces amusements n’étaient pas sans fruit et me firent connaître toutes les bonnes pièces du théâtre français. On me lut d’un bout à l’autre les Mille et une Nuits, et c’est peut-être à cette époque que prit naissance mon goût pour les romans et tous les ouvrages d’imagination.

VI

Mon premier séjour à Versailles fut à la naissance du premier Dauphin[1] en 1781. Combien le souvenir de

  1. Louis-Joseph-Xavier-François, né à Versailles, le 22 octobre 1781, mort à Meudon, le 4 juin 1789.