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CHAPITRE PREMIER

IV

Les mœurs et la société ont tellement changé depuis la Révolution que je veux retracer avec détail ce que je me rappelle de la manière de vivre de mes parents.

Mon grand-oncle, l’archevêque de Narbonne, allait peu ou point dans son diocèse. Président, par son siège, des États du Languedoc, il se rendait dans cette province uniquement pour présider les États qui ne duraient que six semaines pendant les mois de novembre et de décembre. Dès qu’ils étaient terminés, il revenait à Paris sous prétexte que les intérêts de sa province réclamaient impérieusement sa présence à la Cour, mais, en réalité, pour vivre en grand seigneur à Paris et en courtisan à Versailles.

Outre l’archevêché de Narbonne, qui valait 250 000 francs, il avait l’abbaye de Saint-Étienne de Caen, qui en valait 110 000, une autre petite encore qu’il échangea plus tard pour celle de Cigny, qui en valait 90 000. Il recevait plus de 50 000 à 60 000 francs pour donner à dîner pendant tous les jours pendant les États. Il semble qu’avec une pareille fortune, il aurait pu vivre honorablement et ne pas se déranger ; et malgré tout il en était toujours aux expédients. Le luxe pourtant n’était pas grand dans la maison. Il tenait à Paris un état noble, mais simple. L’ordinaire était abondant, mais raisonnable.

Il n’y avait jamais à cette époque de grands dîners, parce que l’on dînait de bonne heure, à 2 heures et demie