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sa salive venimeuse tout le visage du gouverneur1. La couleuvre finit par s’éloigner ; bientôt on ne la vit plus. Alors le Taï-oueï ramassa péniblement ses forces et se souleva avec lenteur. « J’en rougis de honte, s’écria-t-il, mais la frayeur ma tué. » Puis, il maudissait dans le fond de son cœur tous les Tao-ssé. « Non, disait-il, je ne puis supporter de pareilles irrévérences. Les misérables ! ils se sont joués de moi……… [1]. »

  1. On ne trouvera, j’imagine, dans ce récit que des puérilités, rien que des puérilités. Cependant que le lecteur y prenne garde. Dans les compositions de ce genre, dans les romans, dans les pièces de théâtre, on peut certainement juger du degré d’intérêt qu’offre un récit où un tableau, mais à une condition indispensable et raisonnable ; c’est qu’on n’ignore pas tout à fait les mœurs que l’auteur a voulu peindre, les usages dont il connaît mieux que les autres l’origine, les motifs et l’esprit. Il est question dans ce passage des épreuves singulières que les Tao-sse font subir au messager impérial. Quoi de plus naturel que l’auteur s’inspire des chapitres L et LV du Tao-te-king, où Lao-tseu dit : « ...Or, j’ai appris que celui qui sait gouverner sa vie ne craint sur sa route ni le rhinocéros, ni le tigre... Le rhinocéros ne saurait où le frapper de sa corne, le tigre où le déchirer de ses ongles, le soldat où le percer de son glaive. Quelle en est la cause ? il est à l’abri de la mort !... Celui qui possède une vertu solide ressemble à un nouveau-né, qui ne craint ni la piqûre des animaux venimeux, ni les griffes des bêtes féroces, ni les serres des oiseaux de proie ». (Stan. Julien, Livre de la voie et de la vertu, p. 184 et 201). Ce sont là des choses qu’il faut avoir présentes à l’esprit, si l’on veut saisir les allusions contenues dans un morceau et apprécier le talent du romancier. En général, un récit semble d’autant pins extravagant qu’on s’est moins familiarisé avec les mœurs et les usages qu’il dépeint.