Page:Journal asiatique, série 3, tome 7-8.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
JOURNAL ASIATIQUE.

seil. « Elle a déjà manqué plus d’une fois d’être prise par toi-même, ô tigre ! dit le chacal ; mais, grâce à la vitesse de sa course et à sa finesse, la jeune gazelle t’a toujours échappé. Maintenant, que la souris, pendant son sommeil, aille lui ronger les pieds ; puis que le tigre, à son tour, la saisisse ; alors nous en ferons tous curée de grand cœur. » Ils l’exécutèrent d’un accord unanime, ce conseil du chacal ; la souris rongea les pieds de la gazelle, le tigre vint ensuite la terrasser. Le corps de l’animal était étendu par terre, sans mouvement ; le chacal le vit, et après s’être baigné, il accourut en disant : « Salut ; je me charge de garderie butin. » À ces mots, tous se rendirent au fleuve ; le chacal resta là seul, attentif, tout occupé de ses desseins. Le tigre, fier de ses forces, sort de l’eau, et revient sur ses pas ; apercevant le chacal encore absorbé dans ses pensées : « Qu’as-tu à t’affliger ? lui dit-il, ô toi, le plus grand des sages ! Tu es pour nous le conseiller par excellence. Dépeçons la chair, puis reprenons notre course. » — « Animal aux griffes redoutables, dit le chacal, apprends de moi quel discours a tenu la souris sur ton compte : “Pitié, que cette grande force du roi des quadrupèdes ! C’est moi aujourd’hui qui ai tué la gazelle. Après s’être confié en mon bras puissant, il lire vanité de son exploit ; eh bien ! puisqu’il en est si glorieux, je ne fais aucun cas de son festin.” » — « Instruit à temps qu’elle tient ce langage, répartit le tigre, je ne me fie désormais qu’à mes propres forces ; j’irai chasser seul les hôtes des forêts ; là, il ne manquera pas de chairs à dévorer. » À ces mots, il prit la route des bois.

Vers le même temps arriva la souris ; le chacal s’approcha aussitôt d’elle, et lui dit : « Écoute, souris, à ton grand bonheur, ce qu’a dit l’ichneumon : “Je ne touche pas à la chair de la gazelle ; fi d’un pareil poison ! mais je veux manger la souris. Ainsi, que ton excellence profite du conseil.” » À cette nouvelle, bien épouvantée, elle alla se blottir dans un trou. Vers le même instant paraît le loup, qui avait achevé de se baigner. Dès son arrivée, le chacal lui adresse