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JANVIER-FÉVRIER 1912.

lement 10 ; ce qui porte à croire que le second n’est qu’un extrait du premier, et par conséquent plus récent que l’autre. On peut en tirer la déduction que la communauté de Corfou, d’où le plus long texte est originaire, était antérieure à la petite communauté de Chalcis.

Ensuite, il faut insister sur la composition élégiaque de ces textes, encore plus marquée dans le plus long d’entre eux. On est frappé de la discordance entre le titre du poème, מזמון טו פורים (τῷ) « Cantique pour Pourim », et son contenu. D’où vient la tristesse qui prédomine dans ces vers ? Pourquoi cette exhalaison de chants plaintifs, au lieu d’expressions d’allégresse inhérentes à la fête d’Esther, au souvenir du triomphe final de Mardochée ? Réflexion faite, il est possible que l’auteur des strophes ait moins songé à la fête même d’Esther qu’à la veille, au jour consacré à un jeûne ; c’est la recommandation adressée par la même reine aux Juifs de Suse, à ce que dit la Bible (Esther, IV, 16), En passant, on notera les négligences grammaticales du chantre populaire qui a composé l’œuvre, ou au moins celles du scribe. Ainsi, il transcrit par une seule et même voyelle hébraïque, י-ִ, les trois voyelles grecques η, ι, ε, comme s’il avait confondu en une seule les nuances assez sensibles de ces trois vocables, qu’il aurait pu exprimer par י-ִ, (i bref) et ֶ ou ֵ (é long). De même une singulière corruption détonne à la fin de la strophe xvi du texte d’Oxford (ligne 95, avant le refrain) :

מטוקיניטי קאתיסימי, ou στὸ Κενέτι κάθισε με.

Or le mot Κενέτι serait incompréhensible, si l’on n’avait pas la transcription en copie réduite dans le manuscrit de Chalcis, où le même vers offre le mot גן עדן[1] « jardin de l’Éden » (Paradis), espoir suprême de séjour pour les croyants.

  1. À transcrire Γὰν Ἔδεν, non Γκὰν Ἔντεν (même Revue, p. 166.