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UN TRAITÉ MANICHÉEN RETROUVÉ EN CHINE.

les trois calamités[1], les quatre cours à enceintes de fer[2], le

    une question qui semble avoir joué un grand rôle dans les controverses manichéennes, celle de savoir si quelque chose s’interposait entre la lumière et l’obscurité (cf. Acta Archelai, chap. 97, p. 89), ou si ces deux mondes étaient simplement contigus, comme l’ombre d’un objet l’est à la lumière (cf. par exemple Titus de Bostra, éd. de Lagarde, I, x, p. 5-6, et le texte parallèle du Škand-gumânik Vižâr, dans Salemann, Ein Bruchstük, p. 20). Quant aux trois « roues », les Acta Archelai (chap. 8, § 8, p. 12) nous paraissent en donner une explication assez précise (il s’agit du « démiurge », c’est-à-dire de l’Esprit vivant) : Ἐλθῶν οὖν ποιεῖται τὴν δημιουργίαν πρὸς σωτηρίαν τῶν ψυχῶν καὶ μηχανὴν συνεστήσατο ἔχουσαν δώδεκα κάδους, ἤ τις ὑπὸ τῆς σφαίρας στρεφομένη, ἀνιμᾶται τῶν θνησκόντων τὰς ψυχὰς καὶ ταύτας ὁ μέγας φωστὴρ ταῖς ἀκτῖσι λαβὼν καθαρίζει καὶ μεταδίδωσι τῆ δελήνῃ, καὶ οὕτως πληροῦται τῆς σελήνης ὁ δίσκος, ὁ παρ’ ἡμῖν προσαγορευόμενος » ; et dans la traduction latine : « Cum ergo venisset, machinam quandam concinnatam ad salutem animarum, id est rotam, statuit, habentem duodecim urceos ; quae per hanc spheram vertitur, hauriens animas morientium quasque luminare majus, id est sol, radiis suis adimens purgat et lunae tradit, et ita adinpletur lunae discus, qui a nobis ita appellatur. » Le texte des Acta Archelai ne paraît avoir de correspondant exact nulle part. À ses douze « seaux » correspondent, dans Épiphane (Hæres., lxvi, 9, cité par Flügel, Mani, p. 231), les douze signes du zodiaque ; la parenté paraît certaine. Par contre, le Fihrist et Šahrastâni font monter les âmes des morts vers le soleil et la lune par la « colonne de gloire » dont il sera question plus loin (cf. Flügel, Mani, 227-234) ; c’est une autre tradition, car pour les Acta Archelai (et pour Épiphane), la « colonne de gloire » est au contraire la dernière étape des âmes qui ont déjà passé par la lune et le soleil. Nous sera-t-il permis de faire une hypothèse sur la « roue » des Acta Archelai ? Les manichéens, qui se figuraient toutes leurs abstractions à l’image d’objets réels, ont dû prendre cette roue dans la réalité. Or la « machine » à douze « seaux », qui tourne en puisant les âmes des morts, c’est-à-dire la lumière, toute l’Asie, depuis la Perse jusqu’à la Chine, la connaît bien ; c’est la roue élévatrice de l’eau, la « noria ». Il nous semble que les trois « roues » du vent, de l’eau et du feu ont pu être trois « noria » qui, actionnées par le Roi de Gloire (cf. infra, p. 550, n. 1), faisaient progressivement monter la lumière délivrée des liens terrestres vers la lune et le soleil.

  1. 三灾. Ces « trois calamités » reparaissent un peu plus loin, mais ne rappellent rien de connu dans le manichéisme lui-même. Pour une hypothèse à leur sujet, cf. la note suivante.
  2. 鐵圍四院 t’ie-wei sseu-yuan ; elles reparaissent un peu plus loin sous la forme abrégée de sseu-wei, « les quatre enceintes » ; les deux fois, elles sont précédées des « trois calamités ». Dans un passage des manuscrits pehlvi de Tourfan (Müller, Handschr., p. 41), on lit : « Et tout autour de cette même terre, il fit quatre murs (čaḥâr parîsp) et trois fossés (seh pârgén). » Dans l’ex-