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UN TRAITÉ MANICHÉEN RETROUVÉ EN CHINE.

lumineux divisés[1] ; ils les prirent en main ingénieuse-

  1. 五分明身. On verra plus loin qu’il s’agit des cinq éléments, éther, vent, lumière, eau, feu. Les sources grecques et latines qui les concernent sont indiquées dans Cumont (Cosmogonie, p. 16-17) et dans Bousset (Hauptprobleme, p. 281 et suiv.). Pour l’énumération des éléments en pehlvi et en sogdien, cf. Müller, Handschr., p. 99 ; ils sont énumérés en turc dans le Khuastuanift (cf. von Le Coq, Khuastuanift, p. 284-285) ; le Fihrist les donne dans le même ordre comme les « membres » de la « terre de la lumière » et aussi comme les « cinq dieux », « espèces (Geschlechter) de l’Homme primitif » (cf. Flügel, Mani, p. 86, 87, 203-204). Dans le manichéisme pehlvi et turc, c’est Ormuzd qui est considéré comme l’Homme primitif ; il suffit, pour s’en convaincre, de comparer un texte pehlvi de M. Müller (Müller, Handschr., p. 20) avec le texte parallèle du Fihrist que M. Müller en a rapproché à bon droit. Les premières sections du Khuastuanift sont également décisives à ce point de vue. Il faut donc corriger dans ce sens les traductions proposées par M. von Le Coq (Chuastuanift, p. 280 et passim, et note 10 de la page 301), et admettre que biš tängri désigne « les cinq dieux », fils d’Ormuzd, tout comme dans le Fihrist ils sont « les cinq dieux », fils de l’Homme primitif. Il semble bien d’ailleurs que ces « cinq dieux », qui sont, comme on le verra, les éléments lumineux emprisonnés dans l’homme, soient considérés comme nos âmes, et que, par suite, le bizning üzütümüz de la page 280 du Khuastuanift soit, comme le propose M. Radlov (Nachträge, p. 870), une apposition de biš tängri ; les lignes 301-302 de la page 297, pour lesquelles nous proposerions par suite une traduction très différente de celle de MM. von Le Coq et Radlov, nous paraissent en faveur de cette interprétation. Le nom de « fils » employé par Théodore bar Khôni (p. 185-186) et le parallélisme nécessaire avec les « fils » de l’Esprit Vivant montrent que, dans le Khuastuanift, il faut bien laisser à ογlan son sens ordinaire de « fils » comme l’a fait M. von Le Coq, et rejeter le sens secondaire de « guerrier » qu’a proposé M. Radlov (Nachträge, p. 870). Les cinq « fils » de l’Homme primitif, tout en étant ses émanations, l’armure dont il s’est entouré, continuent à faire partie de sa personne lumineuse ; ils sont ses « membres » ; c’est ce qu’entend le texte chinois par « corps lumineux divisés ». Ici encore, notre texte permet de préciser le sens d’une phrase de l’inscription de Si-ngan-fou. On a beaucoup bataillé sur le sens de 分身 fen-chen, qui est employé dans cette inscription à propos de l’incarnation du Messie, et la question s’est surtout embrouillée de ce qu’on voulait donner à l’expression une valeur spécialement nestorienne. Le P. Havret a bien montré que fen-chen n’avait rien de nestorien, et il a traduit (Stèle chrétienne, III, 35) la phrase 我三一分身景尊彌施訶 … par « Cependant notre Trinité s’est comme multipliée ; l’illustre et vénérable Messie… ». Nous ne croyons pas que ce soit là le sens. Le P. Havret a mentionné (ibid., p. 38), sans s’y arrêter, que certains ont cru devoir faire de fen-chen un participe, et traduire par « personne divisée » ; ce sens nous paraît résulter du texte même. Il suffit,