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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1911.

les vaillants toujours victorieux… [couverts de] la cuirasse de la grande connaissance[1], [à savoir] les cinq corps

    du Roi des Ténèbres sont le monde de la fumée, le monde du feu, le monde du vent, le monde des eaux et le monde des ténèbres. C’est, en ordre inverse, l’énumération même de saint Augustin. Saint Augustin donne ailleurs (De haeresibus, chap. 46, col. 35) l’ordre : fumus, tenebrae, ignis, aqua, ventus. Le Fihrist (Flügel, Mani, p. 86) indique pour les « membres » de l’obscurité les noms suivants : brouillard, flamme, vent pestilentiel, poison, ténèbres, et (p. 87) : fumée, flamme, ténèbres, vent pestilentiel, brouillard ; il semble bien que, dans la première liste, le « poison » résulte d’une faute de texte (cf. Flügel, Mani, p. 186-187 et 205). L’ordre de Šahrastâni, comme l’indique Flügel, correspond à la seconde énumération du Fihrist ; de même celui d’Ibn al-Murtaḍâ (Kessler, Mani, p. 351). Une description des horreurs de la « terre » des ténèbres est encore donnée dans un autre passage du Fihrist (Flügel, Mani, p. 94). M. Cumont (Cosmogonie, p. 12) a proposé de voir une description des cinq régions des enfers dans un passage obscur des textes pehlvi de M. Müller (Handschr., p. 40) ; mais si la « terre des ténèbres » (târ zamîq) y est nommée, il semble qu’il s’agisse à son propos d’une série de quatre calamités, et non de cinq « éléments » ou « membres ». Il va de soi que les cinq « membres » de l’obscurité sont les correspondants mauvais des cinq « membres » bons de la lumière, éther, vent, lumière, eau, feu ; cf. d’ailleurs Cumont, Cosmogonie, p. 36-37.

  1. Le texte chinois a ici une lacune qui, dans l’édition de M. Lo Tchen-yu, correspond à trois caractères ; le rythme de la phrase est d’accord avec cette estimation. Le mot que nous traduisons par « victorieux » est en partie manquant ; il n’en reste que la clef ; mais le rapprochement avec le caractère précédent ne laisse aucun doute sur la restitution. Même en tenant compte de la lacune, le passage est assez étrange. Théodore bar Khôni dit bien (Pognon, Inscriptions, p. 185) que l’Homme primitif évoqua « ses cinq fils, comme un homme qui revêt ses armes pour le combat » ; mais ce sont ces cinq fils qui sont à la fois l’armure et les armes, et non pas eux qui sont couverts eux-mêmes de la « cuirasse de la grande connaissance ». De plus ils ont été vaincus, et il est peu naturel, quand on va précisément pour les délivrer, de les qualifier de « vaillants toujours victorieux ». Enfin l’Esprit vivant, pour aller au secours de l’Homme primitif, évoque lui aussi cinq fils (cf. Théodore bar Khoni, dans Pognon, Inscriptions, p. 186-187), qui sont glorieux entre tous dans le manichéisme (cf. Cumont, Cosmo­gonie, p. 22-23), et ces fils seront mentionnés, à diverses reprises, dans la suite de notre texte. Deux fois à leur propos, et à propos d’eux seuls, reparaîtra, avec des variantes insignifiantes ([texte chinois] hiuo-kien et [texte chinois] yong-kien au lieu de [texte chinois] hiao-kien), l’expression que nous traduisons ici par « vaillants ». Il semble donc assez vraisemblable que le texte soit ici altéré non seulement au point de vue matériel, mais même dans son fond.