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UN TRAITÉ MANICHÉEN RETROUVÉ EN CHINE.

apparus dans le monde ont distribué et inventé des méthodes qui fussent capables de secourir la nature lumineuse, et par lesquelles elle pût s’affranchir de la multitude des souffrances et être définitivement calme et heureuse.

Après qu’il eut posé cette question, il[1] s’inclina en signe de respect, et, reculant, il se tint debout de côté[2].

Alors l’Envoyé de la lumière[3] parla en ces termes à A-t’o[4] : « C’est fort bien ! C’est fort bien[5] ! En vue de profiter à la

  1. Celui qui pose la question doit être A-t’o, puisque c’est à lui que l’Envoyé de la Lumière va répondre.
  2. Tout ce début est construit à la manière d’un sūtra bouddhique. Il faut supposer, tel le Buddha dans les sūtra, l’Envoyé de la Lumière assis au milieu d’une assemblée de divinités et de fidèles auxquels il expose la loi. Survient un disciple qui rend hommage au Maître, puis lui adresse une question, et, en attendant la réponse, se recule pour prendre place dans l’assemblée ; la réponse à cette question fait l’objet du sūtra. La fin même de notre traité montre que tel est bien le cadre adopté. Au lieu de « reculant, il se tint debout de côté », la formule ordinaire des sūtra bouddhiques est « reculant, il s’assit de côté ».
  3. L’Envoyé de la Lumière est ici certainement Mâni ; c’est le frêstagrôšân des textes pehlvi (cf. Müller, Handschr., 88). Mâni n’est d’ailleurs pas le seul Envoyé de la Lumière : il a été précédé par exemple par Zoroastre, le Buddha, Jésus (cf. Albîrûnî, Chronology of ancient nations, trad. Sachau, p. 190 ; Kessler, Mani, p. 817). Un passage de notre texte parle même (cf. p. 553) d’Envoyés de la Lumière futurs ; il y a peut-être là une adoption ancienne d’idées messianiques dans le manichéisme, mais on peut songer tout aussi bien au Saošyant du mazdéisme, ou même à une contamination due aux théories bouddhiques sur Maitreya, le Buddha à venir.
  4. 阿馱 A-t’o (*‘A-da). Nous avons proposé, dans l’introduction à notre traduction, d’identifier A-t’o à Ἀδδᾶς. Dans tout le cours de ce travail, les prononciations anciennes sont précédées d’un astérisque ; elles sont restituées, pour l’époque des T’ang, en tenant compte simultanément des tables du K’ang hi tseu tien, des indications fournies par les prononciations dialectales modernes, des transcriptions de mots étrangers en chinois, et aussi des transcriptions anciennes de caractères chinois en caractères manichéens, ouïgours, tibétains et ’phags-pa. Le système est solide dans son ensemble ; il y a cependant quelques incertitudes de détail, qui seront indiquées le cas échéant.
  5. C’est là aussi un emprunt au bouddhisme ; les réponses du Buddha aux questions des disciples commencent régulièrement par cette double exclamation en sanscrit : sādhu, sādhu.