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LES DÉCORÉS

pore un relent de crime, de vice, de bêtise et de basse matérialité.

Toulouse-Lautrec, qui s’impose comme un des plus volontaires et des plus personnels talents de l’époque, est un satirique formidable, mais sa verve corrosive s’éloigne radicalement de la bonhomie railleuse des petits maîtres hollandais, et ne procède ni de Daumier, ni de Gavarni. Il ne déforme pas la nature, il la caricaturise à peine ; cauteleusement il la guette, patiemment il l’attend, et il lui saute à la gorge au moment précis où, dans un éclair de défaillance, elle se montre grotesque. La Vénus de Milo ou la Diane de Jean Goujon y auraient passé, bon gré mal gré, et je frémis à la pensée de la posture dans laquelle les pauvres femmes eussent été pincées. Quand il a agrippé sa proie, il se délecte, raffine, ne fait grâce d’aucune tare, souligne les défectuosités, s’attarde aux déchéances, caresse les imperfections, met en lumière les ridicules, se pourlèche des abjections.