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Le buste fut placé sur une gaîne que l’on déposséda du vase de Sèvres qui la surmontait, et à la lueur d’une lampe, en présence de Gaston Marquiset et du sculpteur, je m’adressai au peintre en ces termes :


Maître, c’est demain votre fête,
Accueillez les vœux d’un ami.
— Si mes stances sont d’un poète
Dont la muse a longtemps dormi ;

Si ma prose laborieuse
Pèse sur mon vers éperdu ;
D’une cadence harmonieuse
Si le secret ne m’est rendu

De vos hôtes de « l’Abbaye »
Quand vous me faites l’héritier,
Si ma verve se sent trahie
Par les vers brillants de Gautier,

Qu’importe ? — Ce n’est plus la gloire
Que vous recherchez aujourd’hui,
Vous êtes entré dans l’histoire,
Votre nom sur nous a relui.

Soldat de cette grande armée,
Légion d’artistes penseurs
Que suivit l’Europe charmée,
Où toutes les âmes sont sœurs ;

Où Delacroix et Lamartine
Rossini, Gérard et Pradier,
Mercœur, qu’un vent de mort incline,
Musset, Hugo, David, Nodier,

Vont épelant le même livre
La Nature, le Vrai, le Beau,
Germes divins qu’ils font revivre
Sous leur plume où sous leur ciseau,

Vous m’apparaissez, tête haute,
Suspendant au temple de l’Art,
La toison d’or de l’Argonaute,
Dans les Adieux de Léonnrd.

Pour vous, Lemud grave sa pierre
Moine et David sculptent l’airain,
Et dans sa prose familière
Janin se dit votre parrain.

Maître, votre part fut trop belle,
Et de vous nous restons jaloux,
Nous, les fils d’un âge rebelle
Où tout est sombre autour de nous.