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parts. Toutefois notre jeune homme avait fait choix d’autres livres. Sur ce point, je suis d’avis qu’il n’est’ pas bon de contrarier l’inclination d’un enfant. Si le livre de chevet de l’adolescent est un livre sérieux et digne, ne le fermez jamais. Quel que soit ce livre, il porte dans ses pages le secret de la vocation de l’enfant. C’est par une pente naturelle, irrésistible, c’est par une affinité de cœur ou de pensée que l’enfant va de lui-même au livre où il est question de ses pairs. Je connais tel historien qui, à l’âge de quinze ans, lisait sans se lasser jamais des encyclopédies biographiques. Des grands hommes de l’histoire, dans tous les ordres, il avait fait ses dieux. Les dieux de Gigoux ce furent les peintres et après les peintres ces héros taillés dans le granit pour l’immortalité par la plume incisive et sobre de Plutarque. Où ai-je pris ce détail ? Dans des pages écrites par Thoré, un ami de jeunesse de Gigoux.


La vocation du jeune artiste, écrit Thoré, l’entraînait en dépit de tout obstacle vers le dessin et il faisait parfois de petits portraits au crayon pour ses amis. Un jour, on lui donna, en reconnaissance, la Vie des hommes illustres de Plutarque, et la Vie des Peintre allemands, flamands et hollandais de Descamps. Voilà Gigoux qui se met à lire, jour et nuit, ces drames si simples, où la volonté et l’intelligence de l’homme triomphent de la nature et de la société ; le voilà qui s’émerveille de ces luttes et de cette gloire et souvent des lueurs d’espérance passaient dans son cerveau : il entendait des voix mystérieuses qui lui soufflaient à l’oreille que, lui aussi, il était destiné à créer des œuvres vivaces et durables ; et dans ses instants de repos, il allait s’asseoir sous l’ombre de quelque bois solitaire, et il relisait l’histoire de ses peintres bien-aimés. Ses vagues pressentiments finirent par se changer en une volonté énergique qui enfanta son avenir.


En 1823, Gigoux remportait le premier prix de « Paysage d’après la gravure » à l’école gratuite de dessin de Besançon. Ce succès n’était pas de nature à flatter l’amour-propre du père de Gigoux. Le maréchal-ferrant commençait à trouver que son fils perdait beaucoup de temps à peindre. En homme pratique qu’il était, il avait son but : c’était de faire de son garçon un médecin-vétérinaire. Mais quelque habileté que mît le père à contrarier la vocation de son fils, celui-ci ayant reçu quelques commandes de tableaux d’églises, notamment pour la paroisse de Nods[1], dans l’arrondissement de Baume-les-Dames, le produit de ces premiers travaux lui permit de se soustraire à l’influence paternelle en

  1. L’éditeur de 1885 écrit à tort Neau.