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langue dorée : « Jamais ne fut rien ni ne sera qui se puisse tenir d’aimer, tant qu’il y aura beauté au monde et que les yeux regarderont. »

Au cours des nombreuses visites que je fis à l’artiste pendant le mois de juillet, il me confia ses riches portefeuilles d’autographes. Les soirs de pluie, - et ils furent nombreux, - il se mit à dicter ses souvenirs. Le mois suivant, il revit la Franche-Comté. De retour à Paris, il reprit son récit interrompu, empruntant tour à tour la plume de M. Marquiset, ou de quelque visiteur, et pendant plusieurs semaines, le samedi soir, je fus chercher ma « copie » comme un chroniqueur en disette. Rentré chez moi, je rédigeais. Mais, on le devine, mon premier soin était de contrôler ce qu’avait dicté le peintre. Tel fait qu’il supposait dater de 1840 devait être reporté à 1825. Les Salons, dans sa mémoire, se succédaient d’après une chronologie confuse... L’artiste n’était pas l’homme du livre. Il me recommanda de ne suivre aucun plan, de prendre ses souvenirs tels qu’ils se présentaient à son esprit. On ne fait rien sans méthode. Je ne tins pas compte des, injonctions de mon modèle, et m’aidant de ses notes, des écrits du temps, des souvenirs laissés par ses contemporains, je composai mon travail sans nul souci de la suite que lui-même avait donnée à ses anecdotes. Mon indépendance lui déplut, et pour ne pas attrister cet homme excellent, je résolus de ne rien publier sur Gigoux de son vivant.

Rentré en possession de ses notes que je m’empressai de lui rendre, l’artiste n’abandonna pas son idée. Un petit volume parut sous son nom en 1885. Les anachronismes, les puérilités, des erreurs de tout genre ont échappé à la plume sans expérience qui s’est prêtée à cette publication. Des lettres d’artistes possédées par Gigoux et dont j’avais pris copie sous ses yeux, nulle trace dans le volume dont je parle. Aujourd’hui que Gigoux n’est plus, je me plais à lui rendre hommage en usant de ses propres richesses. L’ouvrage que je projetais il y a douze ans de lui dédier en racontant sa vie et celle de ses amis, serait trop étendu pour prendre place dans un recueil périodique, mais j’en détache volontiers les meilleures pages, afin de venir en aide aux biographes qui plus tard voudront parler de Jean Gigoux. Aussi bien, - c’est une jus--